Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/450

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donna dans les jardins qu’il avait avant d’être empereur une humble sépulture. Sa tête, que des vivandiers et des valets d’armée avaient attachée à une pique et déchirée cruellement, fut retrouvée le lendemain devant le tombeau de Patrobius, un affranchi de Néron puni par Galba. On en mêla les cendres à celles du corps, qui déjà était brûlé. Telle fut la fin de Servius Galba, qui, dans une carrière de soixante-treize ans, traversa cinq règnes toujours favorisé de la fortune, et plus heureux sous l’empire d’autrui que sur le trône. Il tenait de sa famille une antique noblesse et une grande opulence ; d’ailleurs génie médiocre, exempt de vices plutôt que vertueux ; sans indifférence pour la renommée et sans ostentation de vaine gloire, ne désirant point le bien d’autrui, économe du sien, avare de celui de l’État ; avec ses amis et ses affranchis, d’une faiblesse sans crime quand ils se rencontraient gens de bien ; d’un aveuglement inexcusable s’ils étaient méchants. Au reste, il dut une chose à l’éclat de sa naissance et au malheur des temps : c’est que l’indolence de son caractère passa pour sagesse. Dans la vigueur de l’âge, il s’illustra par les armes en Germanie. Proconsul, il gouverna l’Afrique avec modération ; déjà vieux, il fit respecter à l’Espagne citérieure le même esprit de justice ; élevé par l’opinion au-dessus de la condition privée, tant qu’il n’en sortit pas ; et, de l’aveu de tous, digne de l’empire s’il n’eût pas régné.

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Rome effrayée tremblait à l’aspect du crime qui venait de l’ensanglanter, et au souvenir des anciennes mœurs d’Othon, lorsque pour surcroît de terreur elle apprit la révolte de Vitellius, dont on avait caché la nouvelle jusqu’à la mort de Galba, pour laisser croire que la défection se bornait à l’armée de la Haute-Germanie. C’est alors qu’on déplora la fatalité qui semblait avoir choisi pour perdre l’empire les deux hommes du monde les plus impudiques, les plus lâches, les plus dissolus. Et non seulement le sénat et les chevaliers, qui ont quelque part et prennent quelque intérêt aux affaires publiques, mais la multitude même éclatait en gémissements. On ne parlait plus des récentes cruautés d’une paix sanguinaire : c’est dans les guerres civiles qu’on allait chercher des souvenirs. Rome tant de fois prise par ses propres armées, la dévastation de l’Italie, le pillage des provinces, et Pharsale, et Philippes, et Pérouse, et Modène, tous ces noms illustrés par les désastres publics, étaient dans toutes les bouches. "On avait vu l’univers presque renversé de la secousse, alors même que c’étaient