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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/47

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clameurs, un calme soudain ; agités de passions contraires, ils tremblaient et faisaient trembler. Enfin, le tumulte cessant un moment, Drusus lit une lettre de son père. Elle portait « que ses premiers soins étaient pour ces vaillantes légions avec lesquelles il avait enduré les fatigues de tant de guerres ; que dès l’instant où le deuil lui laisserait quelque repos, il entretiendrait le sénat de leurs demandes ; qu’en attendant il leur avait envoyé son fils, qui accorderait sans retard ce qu’il était permis d’accorder sur-le-champ ; que le reste devait être réservé au sénat, auquel il était juste de laisser sa part dans la distribution ou le refus des grâces. »

XXVI. L’armée répondit que le centurion Clémens était chargé de s’expliquer pour tous. Celui-ci, prenant la parole, demande « le congé après seize ans, les récompenses à la fin du service, un denier de paye par jour, enfin que les vétérans ne soient plus retenus sous le drapeau. » Drusus parlait d’attendre une décision suprême du sénat et de son père ; des cris l’interrompent : « Qu’est-il venu faire, s’il ne peut augmenter la paye du soldat, ni soulager ses maux ? Il est donc sans pouvoir pour le bien ? Ah ! Les pouvoirs ne manquent à personne, quand il s’agit de frapper ou de tuer. Tibère jadis empruntait le nom d’Auguste pour refuser justice aux légions ; Drusus renouvelle les mêmes artifices : ne leur viendra-t-il donc jamais que des enfants en tutelle ? Chose étrange ! L’empereur ne renvoie au sénat que ce qui est en faveur des gens de guerre : il faut donc aussi consulter le sénat toutes les fois qu’on les mène au combat ou au supplice. Récompenser est-il le privilège de quelques-uns ; punir, le droit de tous ? »

XXVII. Ils quittent enfin le tribunal, et, à mesure qu’ils rencontrent des prétoriens ou des amis de Drusus, ils le menacent du geste, dans l’intention d’engager une querelle et de tirer l’épée. Ils en voulaient principalement à Cn. Lentulus, le plus distingué de tous par son âge et sa gloire militaire, et, à ce titre, soupçonné d’affermir l’esprit du jeune César, et de s’indigner plus qu’un autre de ces attentats contre la discipline. Peu de moments après, il se retirait avec Drusus, et retournait par prudence au camp d’hiver, lorsqu’on l’entoure en lui demandant « où il va ; si c’est vers le sénat ou vers l’empereur, afin d’y combattre aussi la cause des légions. » En même temps on fond sur lui avec une grêle de pierres ; et, déjà tout sanglant d’un coup qui l’atteignit, sa mort était certaine,