Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/498

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des leurs ignoraient pourquoi ce salut et se crurent trahis. En cet instant l’armée vitellienne les charge avec l’avantage de l’ordre, de la force et du nombre. Les Othoniens, épars, moins nombreux, fatigués, ne laissèrent pas d’engager une lutte vigoureuse. Le champ de bataille, embarrassé d’arbres et de vignes, offrait un spectacle varié : on s’attaque et de près et de loin, par masses ou en pointe ; sur la chaussée, on se joint, on se bat corps à corps, on se heurte du bouclier ; aucun ne pense à lancer sa javeline ; la hache et l’épée fendent les casques, percent les cuirasses. Là, connu de ses camarades, en vue au reste de l’armée, chacun des soldats combat comme s’il était responsable du succès de la guerre.

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Le hasard mit deux légions aux prises dans une plaine découverte entre le Pô et la route. C’était du côté de Vitellius la vingt et unième appelée Rapax, dès longtemps signalée par ses exploits, et du côté d’Othon la première Adjutrix, n’ayant jamais paru en bataille rangée, mais pleine d’ardeur, et pour qui la gloire avait tout l’attrait de la nouveauté. Celle-ci culbute les premiers rangs de la vingt et unième et lui enlève son aigle. La vingt et unième, outrée de cet affront, repousse à son tour la première, tue Orphidius Bénignus son commandant, et lui prend beaucoup d’enseignes et de drapeaux. D’un autre côté la treizième légion fut enfoncée par le choc de la cinquième, et le détachement de la quatorzième fut entouré par des forces supérieures. Les généraux d’Othon étaient depuis longtemps en fuite, tandis que Cécina et Valens faisaient sans cesse avancer de nouvelles troupes. Un renfort important leur arriva : c’était Alphénus avec les cohortes bataves qui venaient de défaire les gladiateurs. Comme ce corps passait le Pô sur des barques, elles l’avaient reçu de la rive opposée, et massacré sur le fleuve même ; ainsi victorieuses, elles se portèrent sur le flanc de l’ennemi.

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Rompus par leur centre, les Othoniens s’enfuirent en désordre pour regagner Bédriac. L’espace était immense, les chemins obstrués de morts : ce qui donna le temps de tuer davantage ; car dans les guerres civiles on ne compte pas sur les prisonniers pour enrichir la victoire. Suétonius et Proculus, par des routes diverses, évitèrent le camp. Védius Aquila, commandant de la treizième légion, courut, dans l’égarement de la peur, s’offrir à la colère des soldats. Entré, encore de grand jour, dans les retranchements, il est assailli par les clameurs des séditieux et des fuyards. Outrages, violences,