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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/499

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rien ne lui est épargné ; les mots de déserteur et de traître retentissent à son oreille : non qu’il fût plus coupable qu’un autre ; mais, quand tout le monde a failli, chacun rejette sur autrui sa honte personnelle. La nuit favorisa Celsus et Titianus : ils trouvèrent les sentinelles posées et le tumulte assoupi. Gallus, à force de prières, de conseils, de fermeté, avait su persuader aux soldats "de ne pas aggraver les désastres d’un combat malheureux en tournant leur furie contre eux-mêmes ; que soit que la guerre fût arrivée à sa fin, ou qu’ils aimassent mieux reprendre les armes, l’unique adoucissement à leur défaite était toujours la concorde." Tout était consterné ; les seuls prétoriens s’écriaient en frémissant "que ce n’était pas le courage, mais la trahison, qui les avait vaincus ; qu’ils avaient après tout laissé à l’ennemi une victoire ensanglantée, témoin sa cavalerie repoussée, une des légions dépouillée de son aigle. Ne restait-il pas d’ailleurs auprès d’Othon lui-même tout ce qu’il y avait de soldats au delà du Pô ? Les légions de Mésie arrivaient ; une grande partie de l’armée n’avait pas quitté Bédriac ; ceux-là du moins n’étaient pas encore vaincus ; et, dût-on périr, l’honneur voulait que ce fût sur le champ de bataille." Tour à tour échauffés par ces réflexions ou effrayés de leur détresse, ces courages aigris ressentaient plus souvent l’aiguillon de la colère que celui de la peur.

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L’armée vitellienne s’arrêta à cinq milles de Bédriac, Les chefs n’osèrent pas risquer le même jour l’attaque du camp ; ils comptaient d’ailleurs sur une soumission volontaire. Sortis sans bagages, et uniquement pour combattre, leurs armes et la victoire leur tinrent lieu de retranchements. Le lendemain, les dispositions des Othoniens n’étaient plus équivoques, et jusqu’aux plus fougueux inclinaient au repentir ; une députation fut envoyée pour demander la paix. Les généraux Vitelliens ne balancèrent pas à l’accorder ; les députés furent retenus quelque temps, et ce retard causa un moment d’hésitation dans l’armée othonienne, qui ne savait si sa demande était accueillie. Enfin les députés reviennent et les portes du camp sont ouvertes. Alors vainqueurs et vaincus fondent en larmes, et maudissent, dans l’épanchement d’une joie douloureuse, les calamités de la guerre civile. Confondus dans les mêmes tentes, ils pansaient les blessures l’un d’un frère, l’autre d’un parent. Espoir, récompenses, tout cela était douteux ; rien d’assuré, que les funérailles et le deuil ; et