Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/500

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pas un n’était assez exempt des communes douleurs pour n’avoir pas à pleurer quelque mort. On rechercha le corps du lieutenant Orphidius, et il reçut les honneurs du bûcher. Quelques-uns furent ensevelis par leurs amis ou leurs proches ; le reste fut laissé gisant sur la terre.

Suicide d’Othon

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Othon, sans trouble, et en homme dont la résolution était prise, attendait le succès de la bataille. D’abord de tristes nouvelles, ensuite des fuyards échappés du combat, lui apprennent que tout est perdu. L’ardeur des soldats prévint en ce moment la voix de leur empereur. Ils lui criaient "d’avoir bon courage ; qu’il lui restait encore des forces intactes ; qu’eux-mêmes étaient prêts à tout souffrir et à tout oser." Et ce n’était pas flatterie : ils brûlaient de combattre ; l’idée de relever la fortune du parti les animait d’une sorte de fureur. Les plus éloignés du prince lui tendaient les mains ; les plus proches embrassaient ses genoux. Plus empressé que tout autre, Plotius Firmus, préfet du prétoire, le conjurait de moment en moment de ne pas abandonner une armée si fidèle, des soldats si glorieusement éprouvés. "Il y avait plus de grandeur d’âme à soutenir le poids du malheur qu’à s’en décharger. Les hommes braves et fermes tiennent bon contre la fortune elle-même en s’attachant à l’espérance ; les lâches et les faibles, à la première frayeur, se précipitent dans le désespoir." Selon qu’à ces paroles Othon semblait s’émouvoir ou rester inflexible, il s’élevait un cri de joie ou des gémissements. Et cet esprit n’animait pas les seuls prétoriens, plus particulièrement soldats d’Othon : les troupes venues en avant de Mésie promettaient une foi non moins obstinée de la part des légions, qu’elles montraient, arrivant à grands pas et entrées déjà dans Aquilée. On n’en saurait douter ; la guerre eût pu se renouveler, acharnée, sanglante, incertaine pour les vaincus et pour les victorieux.

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Othon ne goûtait pas ces conseils guerriers. "Compagnons, dit-il, exposer tant de dévouement et de courages de nouveaux périls, ce serait mettre à ma vie un plus haut prix qu’elle ne vaut. Vous me montrez, si je voulais vivre, un avenir plein de ressources : ma mort en sera plus belle. Nous nous sommes mutuellement éprouvés, moi et la fortune. Et ne calculez pas la durée de l’épreuve : il est plus difficile de se modérer dans les prospérités, quand on pense qu’elles cesseront bientôt. La guerre civile a commencé par Vitellius, et, si nous avons tiré le glaive pour la possession de l’empire,