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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/506

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disposait de forces respectables. Dix-neuf cohortes et cinq ailes de cavalerie étaient sous ses ordres, avec un grand nombre de Maures, gens que les courses et le brigandage rendent très propres à la guerre. Après le meurtre de Galba, inclinant pour Othon et ne se contentant plus de l’Afrique, Albinus menaçait l’Espagne, qui en est séparée par un canal si étroit. Cluvius Rufus s’en alarma : il donne ordre à la dixième légion de s’approcher du détroit comme pour le passer ; et des centurions sont envoyés en avant pour gagner à Vitellius les esprits des Maures. Ils y réussirent sans peine, tant la réputation de l’armée de Germanie était grande en ces provinces. On répandait en outre que, dédaignant le titre de procurateur, Albinus se parait des marques de la royauté et du nom de Juba.

Vitellius à Lyon

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Les dispositions de l’Afrique ainsi changées, Asinius Pollion, préfet de cavalerie, l’un des amis les plus dévoués d’Albinus, ainsi que Festus et Scipion, chefs de cohortes, sont assassinés. Albinus lui-même, allant par mer de la province Tingitane dans la Mauritanie césarienne, est tué au débarquement. Sa femme, qui s’offrit volontairement aux meurtriers, fut égorgée avec lui. Et tous ces événements, Vitellius n’en demandait aucun compte. Il n’écoutait qu’en passant les plus grandes affaires, incapable qu’il était d’une application sérieuse. Il ordonne à son armée de continuer sa marche par terre ; lui-même s’embarque sur la Saône, étalant, au lieu de la splendeur impériale, le spectacle de son ancienne misère. Enfin Junius Blésus, gouverneur de la Gaule lyonnaise, d’une naissance illustre, d’une âme généreuse et faite pour l’opulence, l’environna de tout ce qui compose la maison d’un prince, et l’escorta en grand appareil ; odieux à ce titre même, quoique Vitellius cachât sa haine sous les plus serviles caresses. A Lyon se trouvèrent les généraux des deux partis, vainqueurs et vaincus. Vitellius, après avoir loué Cécina et Valens en présence de l’armée, les fit asseoir à ses côtés sur sa chaise curule. Ensuite il voulut que l’armée tout entière allât au-devant de son fils, enfant au berceau. Il se le fit apporter, le couvrit du manteau de général, et, le tenant dans ses bras, il l’appela Germanicus et le décora de tous les attributs du rang suprême : c’était trop d’honneurs dans la bonne fortune ; ce ne fut bientôt qu’une compensation de la mauvaise.

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On mit à mort les centurions les plus braves du parti d’Othon ; et rien n’aliéna davantage les armées d’Illyrie : la