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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/550

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des nouvelles à la fois tristes et agréables : ce général avait trahi sa cause, mais l’armée le tenait dans les fers. La joie eut plus de prise que l’inquiétude sur cette âme apathique. Tout triomphant d’allégresse, on le rapporte à Rome : là, devant une nombreuse assemblée du peuple, il comble d’éloges le pieux attachement des soldats, puis il fait arrêter, comme ami de Cécina P. Sabinus, préfet du prétoire, et met à sa place Alphénus Varus.

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Ensuite il adresse au sénat une pompeuse harangue, et le sénat lui répond par tout ce que la flatterie a de plus recherché. L. Vitellius ouvrit, le premier, contre Cécina un avis rigoureux. Les autres, s’indignant en termes étudiés "qu’un consul eût trahi la république, un lieutenant son empereur, un ami l’homme qui l’avait comblé d’honneurs et de biens," exhalèrent leurs propres ressentiments dans des plaintes dont Vitellins n’était que le prétexte. Pas un ne se permit d’invectives contre les chefs du parti contraire. Ils accusaient l’erreur et l’imprudence des armées, tournant avec une attentive et adroite précaution autour du nom de Vespasien. Cécina eût été consul encore un jour ; un flatteur se trouva pour mendier à sa place cette dernière journée, au grand ridicule de celui qui donna une telle faveur et de celui qui la reçut. La veille des kalendes de novembre, Rosius Régulus entra en charge et en sortit. Les habiles remarquèrent que c’était la première fois que, sans destitution prononcée, sans loi rendue, un magistrat en remplaçât un autre. Car un consul d’un jour, l’exemple s’en était vu dans la personne de Caninius Rébilius, sous le dictateur César, lorsqu’on se hâtait de payer les services de la guerre civile.

Mort de Junius Blésus

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La mort de Junius Blésus, arrivée dans le même temps, occupa beaucoup la renommée. Voici ce que j’en ai appris. Vitellius souffrant d’une douloureuse maladie, vit, des jardins de Servilius, une tour voisine éclairée de nombreuses lumières. Comme il en demandait la cause, on lui dit que Cécina Tuscus donnait un grand festin dont on faisait à Blésus les principaux honneurs. On parla avec exagération d’appareil somptueux, d’éclats de joie immodérés. Il ne manqua pas de courtisans qui accusèrent Tuscus et les autres, mais Blésus plus amèrement que personne, "de se livrer aux plaisirs pendant que le prince était malade." Quand ceux dont l’œil pénétrant épie les ressentiments des princes virent l’empereur aigri et la ruine de Blésus préparée, le rôle de la délation fut donné à