Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/552

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ou atteindre les légions avant qu’elles eussent couru les chances d’une bataille. Plusieurs lui conseillaient de prendre avec lui les hommes les plus sûrs et de gagner Hostilie ou Crémone par des chemins détournés, en évitant Ravenne. D’autres voulaient qu’il fît venir de Rome les cohortes prétoriennes, et qu’il s’ouvrît de vive force un passage. Lui, par une temporisation inutile, perdit à délibérer le temps d’agir. Bientôt, repoussant l’un et l’autre conseil, il prit un parti mitoyen, le pire de tous dans les moments décisifs, et ne sut ni oser ni prévoir assez.

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Il écrit à Vitellius et lui demande du secours. Il lui vint trois cohortes avec l’aile de cavalerie tirée de Bretagne, ce qui était trop pour dérober sa marche, trop peu pour forcer le passage. Du reste, au milieu même de si graves périls, Valens ne put échapper à la flétrissante imputation de ravir, chemin faisant, des plaisirs criminels, et de souiller d’adultères et d’autres impuretés les maisons de ses hôtes. C’était l’œuvre de la force, de l’argent, et les derniers caprices d’une fortune expirante. L’arrivée de l’infanterie et de la cavalerie mit en évidence la fausseté de ses mesures ; car il ne pouvait percer à travers les ennemis avec cette poignée d’hommes, quelque fidèles qu’ils pussent être, et ils n’apportaient pas à la guerre une fidélité sans reproche. La honte cependant et la présence du chef les tenaient en respect ; mais c’était un frein peu solide pour des esprits aventureux et que le déshonneur n’effrayait pas. Justement défiant, Valens garde auprès de lui quelques hommes qui n’avaient pas changé avec la fortune, et fait partir les cohortes pour Ariminum16. Il donna ordre à la cavalerie de couvrir leurs derrières. Lui-même tourna vers l’Ombrie, puis se rendit en Toscane, où il apprit l’issue du combat de Crémone. A cette nouvelle il conçut un dessein qui déjà n’était pas lâche, et que le succès pouvait rendre terrible : il voulait se jeter dans des vaisseaux et descendre sur quelque point de la Gaule narbonnaise, d’où il soulèverait les Gaules, les armées, les nations germaniques, enfin une guerre toute nouvelle.

16. Maintenant Rimini, près de la mer Adriatique, au sud-est de Ravenne.

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Profitant du trouble où le départ de Valens laissa le détachement d’Ariminum, Cornélius Fuscus fit approcher son armée, envoya des galères le long du rivage et enveloppa cette troupe par terre et par mer. Les plaines de l’Ombrie et la partie