Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/562

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Cette scène de dévouement, née de la crainte, avait produit l’enthousiasme. La plupart plaignaient moins Vitellius que le rang suprême avili dans sa personne ; et lui, de ses regards, de sa voix, de ses larmes, ne manquait pas d’implorer la pitié, généreux en promesses, prodigue même, comme tous ceux qui ont peur. Il voulut alors être appelé César, titre qu’il avait refusé d’abord : mais dans le péril il y attacha un espoir superstitieux ; la crainte d’ailleurs écoute également les vaines clameurs de la multitude et les conseils de la prudence. Du reste, comme tous ces mouvements d’un zèle irréfléchi, impétueux en commençant, ne tardent pas à languir, les sénateurs et les chevaliers se retirèrent peu à peu, timidement d’abord et dans l’absence du prince, puis avec la franchise du mépris et sans choisir le moment, jusqu’à ce que Vitellius, honteux de sa vaine tentative, fît remise d’un tribut qu’on ne lui payait pas.

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Si l’occupation de Mévania, qui semblait rallumer tout de nouveau la guerre, avait jeté la terreur dans l’Italie, le départ précipité de Vitellius y donna au parti flavien une faveur déclarée. Les Samnites, les Péligniens, les Marses, jaloux d’avoir été prévenus par la Campanie, coururent aux armes, et se soumirent aux autres charges de la guerre avec toute l’ardeur d’un dévouement naissant. Au reste, l’intempérie de la saison fatigua étrangement l’armée au passage de l’Apennin ; les efforts qu’il lui fallut faire, dans une marche paisible, pour se tirer des neiges, montrèrent quels dangers l’attendaient si la fortune, qui servit les généraux flaviens aussi souvent que le conseil, n’eût ramené Vitellius en arrière. On rencontra en chemin Pétilius Cérialis, qui, sous des habits de villageois et grâce à la connaissance des lieux, avait échappé aux gardes avancées de Vitellius. Cérialis, allié de très-près à Vespasien, n’était pas d’ailleurs sans gloire militaire ; aussi fut-il reçu au nombre des chefs. Plusieurs rapportent que Flavius Sabinus26 et Domitien furent aussi les maîtres de s’enfuir. Des émissaires d’Antonius, à la faveur de divers artifices, pénétrèrent jusqu’à eux, leur montrant le lieu où ils trouveraient asile et protection. Sabinus s’excusa sur sa santé, peu propre à la fatigue et à l’audace. Domitien ne manquait pas de résolution, mais les gardiens placés auprès de lui par Vitellius, quoique promettant