Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/591

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cohortes répondissent par un cri aussi ferme. Les cavaliers bataves venaient de découvrir l’aile gauche, en passant à l’ennemi et se tournant aussitôt contre nous. Toutefois, en cet extrême péril, le soldat légionnaire gardait ses armes et ses rangs. Les auxiliaires Ubiens et Trévires, honteusement dispersés, erraient par toute la campagne. Les Germains s’acharnèrent sur eux, et les légions eurent le temps de se réfugier dans le camp nommé Vétéra. Le commandant des Bataves transfuges, Claudius Labéo, était compatriote, et, par l’effet de rivalités locales, ennemi de Civilis. Ce dernier craignait en le tuant de soulever les esprits, ou de nourrir en le gardant un germe de discorde : il le déporta chez les Frisons.

12. Ce camp de deux légions sera nommé un peu plus bas Vetera (le Vieux-Camp), que D’Anville (Notice de la Gaule) prouve assez bien avoir été au lieu qu’on nomme aujourd’hui Santen.
13. Les Ubiens habitaient le pays dont le chef-lieu était Cologne (Colonia Agrippensis).

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Pendant ces mêmes jours, des cohortes de Bataves et de Canninéfates que Vitellius faisait venir à Rome furent jointes en chemin par un courrier de Civilis. Aussitôt elles s’enflent d’orgueil et de prétentions ; il leur faut, pour prix du voyage, le don militaire, une double paye, une augmentation dans le nombre des cavaliers, toutes choses promises, il est vrai, par Vitellius, mais qu’elles demandaient bien moins pour les obtenir que pour avoir une occasion de révolte. Hordéonius, en leur accordant beaucoup, n’avait fait que les enhardir à exiger plus impérieusement ce qu’elles savaient qu’il ne donnerait pas. Elles méconnaissent son autorité et gagnent la basse Germanie pour se joindre à Civilis. Hordéonius assembla les tribuns et les centurions, et délibéra s’il réprimerait par la force cette désobéissance ; sa lâcheté naturelle et les terreurs de ses officiers, qu’alarmait la foi douteuse des auxiliaires, et qui se défiaient de légions recrutées à la hâte, le décidèrent à retenir le soldat dans le camp. Bientôt il se repentit, et, blâmé de ceux même dont il avait suivi le conseil, il sembla se disposer à poursuivre. Il écrivit à Hérennius Gallus, commandant de la première légion cantonnée à Bonn, "de fermer le passage aux Bataves ; que lui-même avec son armée les presserait par derrière." Ils pouvaient être écrasés, si Hordéonius d’un côté, Gallus de l’autre, eussent fait marcher leurs troupes et serré les mutins entre deux attaques ; mais Hordéonius abandonna ce projet et avertit Gallus par un autre message de ne pas effaroucher leur retraite. On soupçonna dès lors que les généraux voyaient sans peine s’allumer la guerre, et que tous les malheurs arrivés ou prévus ne devaient être imputés ni à la lâcheté des soldats, ni à la valeur des ennemis, mais à la mauvaise foi des chefs.

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