Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/644

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signaient Vespasien et Titus. Mais la nation juive, par une illusion de la vanité humaine, s’appliquait ces hautes destinées ; et le malheur même ne la ramenait pas à la vérité. Le nombre des assiégés de tout âge et de tout sexe allait, dit-on, à six cent mille. On avait donné des armes à quiconque pouvait les porter, et la quantité des combattants surpassait la proportion commune. Même obstination dans les hommes et dans les femmes : si pour vivre il leur fallait changer de demeures, ils redoutaient plus la vie que la mort. C’est à une telle ville, à une telle nation que Titus faisait la guerre. Comme le lieu se refusait à un assaut et à un coup de main, il résolut d’employer les terrasses et les galeries. On distribua la tâche aux légions ; et les combats furent suspendus, jusqu’à ce que tous les ouvrages imaginés par l’antiquité ou inventés par le génie moderne pour forcer les villes fussent élevés contra Jérusalem.

8. Les Juifs avaient au contraire des sacrifices d’expiation : de propitiation, mais différents de ceux des Gentils ; c’est assez pour qu’un païen dise qu’ils n’en avaient pas.

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Civilis, battu à Trèves, recruta son armée en Germanie et alla camper à Vétéra, position sûre, où d’ailleurs des souvenirs heureux encourageaient les barbares. Cérialis le suivit avec des forces qu’avait doublées l’arrivée de trois légions, la seconde, la sixième et la quatorzième. Les cohortes aussi et la cavalerie, mandées depuis longtemps, étaient accourues après la victoire. Aucun des deux chefs n’aimait à temporiser ; mais une plaine les séparait, marécageuse par elle-même, et que Civilis avait achevé d’inonder, en jetant obliquement au cours du Rhin une digue qui en versait les eaux sur les campagnes adjacentes. Tel était l’aspect de ce lieu, où des gués perfides pouvaient manquer à chaque pas, et dont tout le désavantage était pour nous. Car le soldat romain est chargé d’armes pesantes et n’aime pas à nager ; les Germains ont l’habitude des fleuves, où la légèreté de leurs armes et la hauteur de leur taille concourent à les soutenir.

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Provoqués par les Bataves, les plus intrépides des nôtres engagèrent le combat. Ce fut bientôt une affreuse confusion, de profonds abîmes engloutissant armes et chevaux. Les Germains, qui connaissaient les gués, sautaient de l’un à l’autre, négligeant le plus souvent le front de l’ennemi pour environner ses flancs et ses derrières. Et ce n’était pas, comme en un combat de terre, deux armées qui en venaient aux mains ; c’était une espèce de bataille navale, où, errant au milieu des eaux, et, s’ils rencontraient un espace solide, ramassant pour s’y tenir toutes les forces de leur corps, blessés ou non blessés,