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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/671

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MŒURS DES GERMAINS.

nourrirent longtemps la molle et indolente oisiveté d’une paix que personne ne troublait : calme plus doux qu’il n’était sûr ! car, auprès de voisins ambitieux et puissants, le repos est trompeur. Vienne l’heure des combats ; modération, probité, sont les vertus de qui sera le plus fort. Aussi parlait-on jadis des bons, des équitables Chérusques ; et on les traite maintenant d’insensés et de lâches : pour les Cattes victorieux le bonheur est devenu sagesse. La ruine des Chérusques a entraîné les Foses[1], nation limitrophe, qui partage avec égalité leur mauvaise fortune, quoiqu’elle ne fût pas leur égale dans la bonne.

XXXVII. Du même côté de la Germanie, au bord de l’Océan, habitent les Cimbres[2], cité maintenant peu nombreuse, mais dont la gloire est immense. Il reste de leur ancienne renommée des traces largement empreintes : ce sont, en deçà comme au delà du Rhin, des camps dont le vaste contour permet encore aujourd’hui de mesurer la masse et les forces de la nation, et rend croyable la multitude infinie de ses guerriers. Rome comptait sa six cent quarantième année, quand retentirent pour la première fois les armes des Cimbres, sous le consulat de Cécilius Métellus et de Papirius Carbo. Si l’on suppute depuis cette époque jusqu’au deuxième consulat de Trajan[3] on trouve à peu près deux cent dix ans : que de temps passé à vaincre la Germanie ! et, pendant cette longue période, que de pertes mutuelles ! Ni les Samnites, ni les Carthaginois, ni les Espagnes, ni les Gaules, ni les Parthes eux-mêmes ne nous donnèrent plus souvent de sérieux avertissements. C’est que la liberté des Germains est plus redoutable que la monarchie d’Arsace[4]. Que peut en effet nous reprocher l’Orient, si ce n’est Crassus massacré ? Mais Pacorus périt à son tour ; mais

  1. Les Foses habitaient probablement la principauté d’Hildesheim, où coule la rivière de Fuse, dont le nom parait avoir, avec celui des Fosi, un rapport d’origine.
  2. Ptolémée place les Cimbres dans le nord du Jutland, qu’on appelait Chersonnèse cimbrique. Tacite semble les rapprocher davantage de l’Elbe, vers les pays d’Holstein et de Sleswig : peut-être aussi comprend-il sous le nom de Cimbres toutes les peuplades qui occupaient cette péninsule, alors fort peu connue.
  3. Cette phrase fixe la date où Tacite composa cet ouvrage. Ce fut sous le deuxième consulat de Trajan, l’an de R. 851, de J.-C. 98.
  4. Arsace fonda la monarchie des Parthes, après avoir arraché ces peuples à la domination des rois macédoniens.