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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/673

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MŒURS DES GERMAINS.

gures de leurs pères et une pieuse terreur ; c’est là qu’à des époques marquées tous les peuples du même sang se réunissent par députations, et ouvrent, en immolant un homme, les horribles cérémonies d’un culte barbare. Une autre pratique atteste encore leur vénération pour ce bois. Personne n’y entre sans être attaché par un lien, symbole de sa dépendance et hommage public à la puissance du dieu. S’il arrive que l’on tombe, il n’est pas permis de se relever ; on sort en se roulant par terre. Tout, dans les superstitions dont ce lieu est l’objet, se rapporte à l’idée que c’est le berceau de la nation, que là réside la divinité souveraine, que hors de là tout est subordonné et fait pour obéir. La fortune des Semnones donne de l’autorité à cette prétention : ils occupent cent cantons, et cette masse de forces leur persuade qu’ils sont la tête de la nation des Suèves.

XL. Le titre des Lombards[1], c’est leur petit nombre, d’autant qu’environnés d’une multitude de cités puissantes ils trouvent leur sûreté, non dans la soumission, mais dans les combats et l’audace. Viennent ensuite les Reudignes, les Aviones, les Angles, les Varins, les Eudoses, les Suardones et les Nuithones[2], tous protégés par des fleuves ou par des forêts. Ces peuples, pris séparément, n’offrent rien de remarquable : un usage commun à tous, c’est l’adoration d’Ertha, c’est-à-dire la Terre Mère. Ils croient qu’elle intervient dans les affaires des hommes, et qu’elle se promène quelquefois au milieu des nations. Dans une île de l’Océan est un bois consacré, et, dans ce bois, un char couvert, dédié à la déesse. Le prêtre seul a le droit d’y toucher ; il connaît le moment où la déesse est présente dans ce sanctuaire ; elle part traînée par des génisses, et il la suit avec une profonde vénération. Ce sont alors des jours d’allégresse ; c’est une fête pour tous les lieux qu’elle daigne visiter et honorer de sa présence. Les guerres sont suspendues ; on ne prend point les armes ; tout fer est soigneusement enfermé. Ce temps est le seul où ces barbares connaissent, le seul où ils aiment la paix et le repos ; il dure jusqu’à ce que, la déesse étant rassasiée du commerce des mortels, le même prêtre la rende à son temple. Alors le char,

  1. Le duché de Magdebourg et la Moyenne-Marche.
  2. De tous ces peuples, à l’exception des Angles, on ne sait guère que les noms. Il est certain cependant qu’ils habitaient entre l’Oder, l’Elbe et la Baltique, occupant ainsi le Mecklembourg et une partie du Holstein.