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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/717

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est bientôt par toutes les bouches. Cessez donc d’alléguer ce repos et cette sécurité prétendue, puisque vous allez chercher un adversaire qui a la force de son côté. Qu’il nous suffise à nous de défendre des intérêts privés et de notre siècle : là du moins, si le péril d’un ami nous arrache quelques expressions qui blessent des oreilles puissantes, on estimera notre zèle, et notre liberté trouvera son excuse. »

XI. Lorsque Aper eut prononcé ces mots avec sa chaleur et sa véhémence accoutumées : "Je me suis préparé, dit Maternus en souriant et du ton le plus calme, à faire le procès aux orateurs aussi longtemps qu’Aper en a fait le panégyrique. Je m’attendais bien que de leur éloge il arriverait à la satire des poètes, et qu’il mettrait l’art des vers sous ses pieds. Il a toutefois adouci son arrêt avec quelque adresse, en permettant à ceux qui ne peuvent défendre des causes de cultiver la poésie. Pour moi, si je puis faire dans la carrière du barreau quelques tentatives heureuses, ce sont néanmoins des lectures de tragédies qui m’ont ouvert le chemin de la renommée. Ma réputation commença le jour où, dans mon Néron, je fis justice d’une puissance abhorrée et qui osait profaner aussi le culte sacré des Muses. Aujourd’hui encore, si mon nom a quelque célébrité, c’est à mes vers plutôt qu’à mes discours que je crois le devoir. J’ai résolu de rompre avec les travaux du Forum ; cette foule de clients, ces cortèges, ce concours de visites, n’excitent point mon envie, pas plus que ces bronzes et ces images qui, même sans que je le voulusse, ont envahi ma maison. On parle de sécurité ! l’innocence protège mieux l’état d’un citoyen que l’éloquence ; et je ne crains pas d’avoir jamais à implorer le sénat, si ce n’est pour des périls étrangers.

XII. « L’ombre des bois et la solitude même, si maltraitées d’Aper, me causent à moi un plaisir si doux, qu’entre toutes les félicités du poète je compte pour beaucoup de ne pas composer ses vers au milieu du bruit, ayant un plaideur assis devant sa porte, et parmi le deuil et les larmes de malheureux accusés. L’âme se retire au contraire dans des lieux purs et innocents, et goûte les délices d’un asile sacré. Ce fut là le berceau de l’éloquence, son premier sanctuaire. C’est sous la forme de la poésie, avec la parure des vers, qu’elle s’annonça d’abord aux mortels et s’insinua dans ces durs chastes, encore fermés à la contagion du vice ; enfin, c’est en vers que s’exprimaient les oracles. Je ne parle point de l’avide et sanglante éloquence de nos jours ; l’usage en est récent, elle est