Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/718

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née de nos désordres, et, comme vous le disiez, Aper, on l’a inventée pour s’en faire une arme. L’âge heureux dont je parle, et, pour employer notre langage, le siècle d’or, était pauvre d’orateurs et d’accusations, riche de poètes et d’hommes inspirés qui chantaient les bonnes actions, au lieu de justifier les mauvaises. Aussi furent-ils les plus glorieux des mortels et les plus honorés, d’abord auprès des dieux, dont on croyait qu’ils prononçaient les oracles et partageaient les festins ; ensuite auprès de ces enfants des dieux, de ces monarques sacrés, dans la compagnie desquels vous ne verrez aucun avocat, mais Orphée et Linus, et, si vous voulez remonter plus haut, Apollon lui-même : ou, si ces traditions vous paraissent tenir trop de l’invention ou de la fable, vous m’accorderez du moins, Aper, que le nom d’Homère n’est pas en moindre vénération à la postérité que celui de Démosthène, et que la réputation d’Euripide et de Sophocle n’est pas renfermée dans des bornes plus étroites que celle de Lysias ou d’Hypéride. Vous trouverez aujourd’hui plus de détracteurs de Cicéron que de Virgile, et pas un livre d’Asinius ou de Messala n’est aussi célèbre que la Médée d’Ovide ou le Thyeste de Varius.

XIII. « La fortune même des poètes et le bonheur d’habiter avec les Muses me semblent préférables à la vie inquiète et agitée des orateurs. Vous compterez en vain les consulats où les auront élevés leurs luttes et leurs périls ; j’aime mieux la solitaire et paisible retraite de Virgile, retraite où venaient pourtant le chercher la faveur d’Auguste et les regards du peuple romain : témoin les lettres du prince; témoin le peuple lui-même, qui, entendant réciter sur le théâtre des vers de Virgile, se leva tout entier et rendit au poète, qui se trouvait en ce moment parmi les spectateurs, les mêmes respects qu’au maître de l’empire. Et de nos jours, on ne peut dire que Pomponius Sécundus le cède à Domitius Afer, ni pour la dignité qui entoura sa vie, ni pour l’éclat dont brille encore sa mémoire. Quant à Crispus et à Marcellus, que vous me proposez pour exemples, qu’a donc leur fortune de si désirable ? est-ce de craindre ou d’être craints ? est-ce de se voir chaque jour entourés de solliciteurs qui les maudissent en recevant leurs bienfaits ? est-ce de ce que, enchaînés à l’adulation, ils ne paraissent jamais, au pouvoir assez esclaves, à nous assez libres ? Quelle est cette haute influence qu’on redoute en eux ? des affranchis ont la même puissance. Pour moi, mon vœu le plus cher est que les Muses, ces Muses si douces, comme disait