Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/720

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clusivement le vieux temps, et vous n’avez pour les études de notre siècle que des railleries et des mépris. Combien de fois vous ai-je entendu, oubliant votre éloquence et celle de votre frère[1], prétendre qu’il n’existe pas maintenant un seul orateur ! et vous le souteniez, j’imagine, avec d’autant plus d’assurance, qu’en vous refusant à vous-même une gloire que tout le monde vous accorde, vous n’aviez plus à craindre le reproche de malignité. — Je ne me repens nullement, répondit Messala, d’avoir tenu ce langage ; et je suis persuadé que ni Sécundus, ni Maternus, ni vous-même, Aper, quoique vous défendiez quelquefois l’avis contraire, ne pensez autrement. Je voudrais même que l’un de vous prît la peine d’approfondir et d’expliquer les causes de cette extrême différence. Je les cherche souvent dans mon esprit, et une circonstance où plusieurs trouvent un sujet de consolation augmente pour moi la difficulté, c’est que la même chose est arrivée chez les Grecs. Certes un Sacerdos Nicétès, et les autres rhéteurs qui ébranlent de leurs déclamations convulsives les écoles d’Éphèse ou de Mitylène, sont à une plus grande distance d’Eschine et de Démosthène, qu’Afer, Africanus et vous-mêmes n’êtes loin de Cicéron ou d’Asinius.

XVI — Vous venez, dit Sécundus, d’élever une grande et importante question. Mais qui pourrait la traiter mieux que vous, dont la science profonde et le beau génie sont encore fécondés par l’étude et la méditation du sujet ? — Je vous exposerai mes pensées, dit Messala, pourvu que vous me permettiez auparavant de les appuyer des vôtres. —Je promets pour deux, répondit Maternas ; nous développerons, Sécundus et moi, les points, je ne dis pas que vous aurez omis, mais qu’il vous aura plu de nous abandonner. Pour Aper, il est ordinairement d’une autre opinion ; vous le disiez tout à l’heure, et lui-même laisse assez deviner qu’il se dispose depuis longtemps à nous combattre, et que ce n’est pas sans dépit qu’il nous voit d’intelligence pour la gloire des anciens. — Non certainement, dit Aper, je ne souffrirai pas que notre siècle, sans être ouï ni défendu, succombe sous cette conspiration de ses juges. Mais je vous demanderai d’abord qui vous appelez anciens, et à quelle génération d’orateurs vous limitez ce titre. A ce nom d’anciens, je me figure aussitôt des hommes vieux et nés longtemps avant nous ; mon imagination me représente Ulysse et Nestor, dont

  1. Ce frère de Messala était le fameux délateur Aquilius Régulus ; voy. Histoires, liv. IV, ch. xlii.