Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/721

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l’âge a précédé le nôtre d’environ treize cents ans. Vous citez, vous, Démosthène et Hypéride, qui fleurirent, comme tout le monde le sait, au temps de Philippe et d’Alexandre, et qui même survécurent à l’un et à l’autre ; d’où il résulte qu’il n’y a guère que quatre cents ans d’intervalle entre Démosthène et l’époque où nous sommes. Or cet espace de temps, par rapport à la faiblesse de nos corps, peut paraître long ; comparé à la durée des siècles et à la vie de l’univers, c’est un moment, et ce moment est passé d’hier. S’il est vrai, comme Cicéron l’écrit dans son Hortensius, que la grande et véritable année soit accomplie, lorsqu’une position donnée du ciel et des astres se reproduit absolument la même, et si cette année en comprend douze mille neuf cent cinquante-quatre des nôtres, il se trouve que votre Démosthène, si antique et si vieux selon vous, a commencé d’exister non seulement la même année que nous, mais presque dans le même mois.

XVII. « Je passe aux orateurs latins, parmi lesquels Ménénius Agrippa[1] peut être regardé comme un ancien. Ce n’est pas lui, je pense, que vous trouvez préférable aux talents de nos jours. Ce sont les Cicéron, les César, les Célius, les Calvus[2], les Brutus[3], les Corvinus Massala ; et en vérité je ne vois pas pourquoi ils appartiendraient à l’antiquité plutôt qu’à notre siècle. Pour ne parler que de Cicéron, il fut tué, comme l’a écrit Tiron son affranchi, sous les consuls Hirtius et Pansa, le sept des ides de décembre, l’année où le divin Auguste se substitua lui-même avec Pédius à la place de nos consuls. Comptez les cinquante-six ans qu’Auguste gouverna la république à partir de ce moment, ajoutez les vingt-trois ans de Tibère, les quatre ans à peu prés de Caïus, les vingt-huit de Claude et de Néron, l’année unique de Galba, Othon, Vitellius, enfin l’heureuse période des six années depuis lesquelles Vespasien travaille à la félicité de l’empire ; vous trouverez, de la mort de Cicéron à nos jours, un espace de cent vingt ans : c’est la vie d’un seul homme. Car j’ai vu moi-même en Bretagne un vieillard qui disait avoir été au combat où ses compatriotes essayèrent de repousser l’invasion de César et de le chasser de leur île. Or, si la captivité, si sa volonté particulière, si le hasard enfin eussent amené à Rome ce Breton qui combattit César, il aurait pu entendre

  1. Voy. Tite-Live, liv. II, ch. xxxii.
  2. Voy. Cicéron, Brutus, ch. lxxix.
  3. M. Junius Brutus, celui même dont Cicéron a donné le nom à son Dialogue sur les Orateurs illustres.