Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/722

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César lui-même et Cicéron, et assister encore à nos plaidoyers. Au dernier congiarium, vous avez vu des vieillards qui assuraient avoir une ou deux fois reçu d’Auguste la même libéralité. Ils avaient donc pu entendre Asinius et Messala ; car Messala vécut jusqu’au milieu du règne d’Auguste, Asinius presque jusqu’à la fin. Et ne venez pas couper un siècle en deux, et appeler anciens et nouveaux des orateurs que les mêmes hommes ont pu connaître et, en quelque sorte, rapprocher et unir.

XVIII. « J’ai commencé par ces réflexions, afin que, si la réputation et la gloire des orateurs que j’ai nommés fait quelque honneur à leur siècle, il soit reconnu que cet honneur est une propriété commune, où même nous avons plus de part que Serv. Galba, C. Carbo[1] et d’autres que nous pourrions justement appeler anciens. Ceux-là sont hérissés, sauvages, rudes et informes ; et plût aux dieux que votre Calvus, que Célius, que Cicéron lui-même ne les eussent jamais imités ! car je vais m’expliquer tout à l’heure avec plus de force et de hardiesse ; convenons d’abord que le temps amène en éloquence des formes nouvelles et des genres différents. Ainsi, comparé au vieux Caton, C. Gracchus est plus riche et plus abondant ; ainsi Crassus est plus poli et plus orné que Gracchus, Cicéron plus varié, plus fin, plus élevé que l’un et l’autre, Messala plus doux, plus gracieux, plus soigné dans le choix des mots que Cicéron. Je ne cherche pas lequel manie le mieux la parole : il me suffit d’avoir prouvé que l’éloquence a plus d’une physionomie ; qu’il est, entre ceux mêmes que vous nommez anciens, des différences sensibles ; qu’un genre n’est pas inférieur parce qu’il est divers, et que c’est la faute de la malignité humaine si le passé est toujours loué, le présent toujours dédaigné. Doutons-nous qu’Appius Cécus n’ait eu des partisans qui l’admiraient au préjudice de Caton ? Cicéron même, on le sait assez, ne manqua pas de détracteurs, qui le trouvaient bouffi et ampoulé, sans précision, verbeux et redondant à l’excès, enfin trop peu attique. Vous avez lu sans doute les lettres de Calvus et de Brutus à cet orateur : on y aperçoit facilement que Calvus paraissait à Cicéron maigre et décharné, Brutus négligé et décousu. Et de son côté Cicéron était repris par Calvus comme lâche et sans nerf, et Brutus l’accusait en propres termes de manquer de vigueur et de reins. Si vous me demandez mon avis, tous avaient raison :

  1. Voy. Cicéron, Brutus, chap. xxi et suiv., et chap. ii.