Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tourés par l’ennemi : ceux-là du moins ont la ressource d’un trépas honorable ; ici la mort était sans gloire. La terre repartit avec le jour, et l’on atteignit les bords de l’Hunsing[1], où Germanicus avait conduit sa flotte. Il y fit rembarquer les deux légions. Le bruit courait qu’elles avaient été submergées, et l’on ne crut à leur conservation qu’en voyant César et l’armée de retour.

LXXI. Déjà Stertinius, envoyé pour recevoir à discrétion Ségimére, frère de Ségeste, l’avait amené lui et son fils dans la cité des Ubiens. Tous deux obtinrent leur pardon, Ségimére facilement, son fils avec plus de peine : il avait, disait-on, insulté le cadavre de Varus. Au reste les Gaules, l’Espagne, l’Italie, rivalisèrent de zèle pour réparer les pertes de l’armée : chaque peuple offrit ce qu’il avait, des armes, des chevaux, de l’or. Germanicus loua leur empressement, et n’accepta que des hommes et des chevaux pour la guerre. Il secourut les soldats de sa bourse ; et, afin d’adoucir encore par ses manières affables le souvenir de leurs maux, il visitait les blessés, relevait leurs belles actions. En examinant les blessures, il encourageait celui-ci par l’espérance, celui-là par la gloire, tous par des paroles et des soins qui lui gagnaient les cœurs et les affermissaient pour l’heure des combats.

LXXII. On décerna cette année les ornements du triomphe[2] à Cécina, à L. Apronius et à C. Silius, pour la part qu’ils avaient eue aux succès de Germanicus. Tibère refusa le nom de Père de la patrie, dont le peuple s’obstinait à le saluer ; et, malgré l’avis du sénat, il ne permit pas qu’on jurât sur ses actes[3], affectant de répéter « que rien n’est stable dans la vie, et que, plus on l’aurait placé haut, plus le poste serait glissant. » Et cependant cette fausse popularité n’en imposait à personne. Il avait remis en vigueur la loi de majesté ; loi qui

  1. Rivière qui passe à Groningue.
  2. Le général honoré de cette distinction avait le droit de porter la robe triomphale à certains jours et dans certaines cérémonies ; et on lui érigeait une statue qui le représentait avec ce costume et couronné de laurier.
  3. Les triumvirs imaginèrent les premiers de jurer eux-mêmes et de faire jurer par les autres qu’ils regarderaient comme inviolables et sacrés les actes de Jules César. Ce serment eut lieu le 1er janvier 712. Le même jour de l’an 730, le sénat ratifia, par un serment pareil, tout ce qu’avait fait Auguste ; et l’usage s’établit de jurer ainsi, au renouvellement de l’année sur les actes de l’empereur régnant et de ses prédécesseurs.