Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/88

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XIX. Ni blessures, ni morts, ni ravages, n’avaient allumé dans le cœur des Germains autant de colère et de vengeance que la vue de ce monument. Ces hommes, qui tout à l’heure s’apprêtaient à quitter leurs foyers et à se retirer de l’autre côté de l’Elbe, veulent des combats, courent aux armes : jeunes, vieux, peuple, grands, tout se lève à la fois et trouble par des incursions subites la marche des Romains. Enfin ils choisissent pour champ de bataille une plaine étroite et marécageuse, resserrée entre le fleuve et des forêts. Les forêts elles-mêmes étaient entourées d’un marais profond, excepté d’un seul côté, où les Agrivariens avaient construit une large chaussée qui servait de barrière entre eux et les Chérusques. L’infanterie se rangea sur cette chaussée ; la cavalerie se cacha dans les bois voisins pour prendre nos légions à dos, lorsqu’elles seraient engagées dans la forêt.

XX. Aucune de ces mesures n’était ignorée de César. Projets, positions, résolutions publiques ou secrètes, il connaissait tout, et faisait tourner les ruses des ennemis à leur propre ruine. Il charge le lieutenant Séius Tubéro de la cavalerie et de la plaine ; il dispose les fantassins de manière qu’une partie entre dans la forêt par le côté où le terrain étant plat, tandis que l’autre emporterait d’assaut la chaussée. Il prend pour lui-même le poste le plus périlleux, et laisse les autres à ses lieutenants. Le corps qui avançait de plain-pied pénétra facilement. Ceux qui avaient la chaussée à gravir recevaient d’en haut, comme à l’attaque d’un mur, des coups meurtriers. Le général sentit que, de près, la lutte n’était pas égale ; il retire ses légions un peu en arrière, et ordonne aux frondeurs de viser sur la chaussée et d’en chasser les ennemis. En même temps les machines lançaient des javelots, dont les coups renversèrent d’autant plus de barbares que le lieu qu’ils défendaient les mettait plus en vue. Maître du rempart, Germanicus s’élance le premier dans la forêt à la tête des cohortes prétoriennes. Là on combattit corps à corps. La retraite était fermée à l’ennemi par le marais, aux Romains par le fleuve et les montagnes. De part et d’autre une position sans issue ne laissait d’espoir que dans le courage, de salut que dans la victoire.

XXI. Égaux par la bravoure, les Germains étaient inférieurs par la nature du combat et par celle des armes. Resserrés dans un espace trop étroit pour leur nombre immense, ne pouvant ni porter en avant et ramener leurs longues piques, ni s’élan-