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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/90

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au large ou les pousse vers des îles bordées de rocs escarpés ou de bancs cachés sous les flots[1]. On parvint à s’en éloigner un peu avec beaucoup d’efforts. Mais quand le reflux porta du même côté que le vent, il ne fut plus possible de demeurer sur les ancres, ni d’épuiser l’eau qui entrait de toutes parts. Chevaux, bêtes de somme, bagages, tout, jusqu’aux armes, est jeté à la mer pour soulager les navires, qui s’entrouvraient par les flancs ou s’enfonçaient sous le poids des vagues.

XXIV. Autant l’Océan est plus violent que les autres mers, et le ciel de la Germanie plus affreux que les autres climats, autant ce désastre surpassa par sa grandeur et sa nouveauté tous les désastres semblables. On n’avait autour de soi que des rivages ennemis ou une mer si vaste et si profonde qu’on la regarde comme la limite de l’univers, et qu’on ne suppose pas de terres au-delà. Une partie des vaisseaux fut engloutie. Un plus grand nombre fut jeté sur des îles éloignées[2], où les soldats, ne trouvant aucune trace d’habitation humaine, périrent de faim ou se soutinrent avec la chair des chevaux échoués sur ces bords. La seule trirème de Germanicus prit terre chez les Chauques. Pendant tous les jours et toutes les nuits qu’il y passa, on le vit errer sur les rochers et sur les pointes les plus avancées, s’accusant d’être l’auteur de cette grande catastrophe ; et ses amis ne l’empêchèrent qu’avec peine de chercher la mort au sein des mêmes flots. Enfin la marée et un vent favorable ramenèrent le reste des navires, tout délabrés, presque sans rameurs, n’ayant pour voiles que des vêtements étendus, quelques-uns traînés par les moins endommagés. Germanicus les fit réparer à la hâte et les envoya visiter les îles. La plupart des naufragés furent ainsi recueillis. Les Ampsivariens, nouvellement soumis, en rachetèrent beaucoup dans l’intérieur des terres, et nous les rendirent. D’autres, emportés jusqu’en Bretagne, furent renvoyés par les petits princes du pays. Plus chacun revenait de loin, plus il racon-

  1. Sans doute les petites îles qui bordent la côte entre l’embouchure de l’Ems et celle du Véser ; car le vent du midi dut porter les vaisseaux vers le nord : peut-être échoua-t-on aussi entre l’Ems et le Rhin. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas, dans ces îles, ni rochers à pic, ni côtes escarpées : c’est un rivage plat et sablonneux, ce qui explique comment les navires furent recueillis et ramenés après leur naufrage.
  2. Walther indique les Orcades, les îles de Shetland, et celles qui bordent la Norvège.