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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/92

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vrage : Tibère livre à sa modestie une attaque plus vive, en lui offrant un deuxième consulat, dont il exercerait les fonctions en personne. Il ajoutait « que, s’il fallait encore faire la guerre, Germanicus devait laisser cette occasion de gloire à son frère Drusus, qui, faute d’un autre ennemi, ne pouvait qu’en Germanie mériter le nom d’Imperator et cueillir de nobles lauriers. » Germanicus ne résista plus, quoiqu’il comprît que c’était un prétexte inventé par la jalousie pour l’arracher à une conquête déjà faite.

XXVII. Vers le même temps, Libo Drusus, de la maison Scribonia, fut accusé de complots contre l’ordre établi. Je rapporterai en détail le commencement, la suite et la fin de cette affaire, parce qu’elle offre le premier exemple de ces intrigues qui furent tant d’années une des plaies de l’État. Firmius Catus, sénateur, intime ami de Libon, amena ce jeune homme imprévoyant et crédule à se fier aux promesses des Chaldéens[1] et aux mystères de la magie ; il le poussa même chez des interprètes de songes. Sans cesse il montrait à ses yeux son bisaïeul Pompée, sa tante Scribonie, autrefois épouse d’Auguste, les Césars ses parents, et sa maison pleine d’illustres images l’engageant dans le luxe et les emprunts, s’associant à ses plaisirs, à ses liaisons, afin de multiplier les dépositions dont il enlacerait sa victime.

XXVIII. Dès qu’il eut assez de témoins et qu’il put produire des esclaves instruits des mêmes faits, il sollicita une audience du prince, et lui fit connaître l’accusation et le nom de l’accusé par Flaccus Vescularius, chevalier romain, qui avait auprès de Tibère un accès plus facile. Tibère, sans repousser la délation, refuse l’audience, en disant qu’on pouvait communiquer par ce même Flaccus. Cependant il décore Libon de la préture, l’admet à sa table, sans jamais laisser voir (tant sa colère était renfermée) aucun mécontentement sur son visage, aucune émotion dans ses paroles. Maître de prévenir les discours et les actions du jeune homme, il préférait les épier. Enfin un certain Junius, que Libon priait d’évoquer par des enchantements les ombres des morts, en avertit Fulcinius Trio. Fulcinius était un accusateur célèbre et avide d’infamie : il saisit à l’instant cette proie, court chez les consuls, demande

  1. Les peuples de la Chaldée furent, selon Cicéron, les inventeurs de l’asrologie judiciaire. De là l’usage de donner le nom de Chaldéens à tous ceux qui se mêlaient de cet art chimérique.