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Page:Tacite - Œuvres complètes, traduction Burnouf, 1863.djvu/93

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une instruction devant le sénat. Le sénat est convoqué ; l’édit portait qu’on aurait à délibérer sur une affaire grave et des faits atroces.

XXIX. Cependant Libon, couvert d’habits de deuil, accompagné de femmes du premier rang, allait de maison en maison, implorant l’appui de ses proches et la voix d’un défenseur ; vaines prières, que tous repoussaient sous des prétextes divers, mais par le même motif, la peur. Le jour de l’assemblée, affaibli par l’inquiétude et les chagrins ou, selon quelques-uns, feignant d’être malade, il se fait conduire en litière jusqu’aux portes du sénat, et, appuyé sur le bras de son frère, il élève vers Tibère des mains et une voix suppliantes. Le prince l’écoute avec un visage immobile ; puis il lit les pièces et le nom des témoins, de ce ton mesuré qui évite également d’adoucir ou d’aggraver les charges.

XXX. Aux accusateurs, Catus et Trio, s’étaient joints Fontéius Agrippa et C. Vibius. Tous quatre se disputaient à qui signalerait son éloquence contre l’accusé. Enfin Vibius, voyant que personne ne voulait céder, et que Libon était sans défenseur, déclare qu’il se bornerait à exposer l’un après l’autre les chefs d’accusation. Il produisit des pièces vraiment extravagantes : ainsi Libon s’était enquis des devins « s’il aurait un jour assez d’argent pour en couvrir la voie Appienne jusqu’à Brindes. » Les autres griefs étaient aussi absurdes, aussi frivoles, et, à le bien prendre, aussi dignes de pitié. Cependant une des pièces contenait les noms des Césars et des sénateurs, avec des notes, les unes hostiles, les autres mystérieuses, écrites, selon l’accusateur, de la main de Libon. Celui-ci les désavouant, on proposa d’appliquer à la question ceux de ses esclaves qui connaissaient son écriture ; et, comme un ancien sénatus-consulte défendait qu’un esclave fût interrogé à la charge de son maître, le rusé Tibère, inventeur d’une nouvelle jurisprudence, les fit vendre à un agent du fisc, afin qu’on pût, sans enfreindre la loi, les forcer à déposer contre Libon. Alors l’accusé demanda un jour de délai ; et, de retour chez lui, il chargea son parent, P. Quirinus, de porter à l’empereur ses dernières prières. On lui répondit de s’adresser au Sénat.

XXXI. Cependant sa maison était environnée de soldats. Déjà on entendait le bruit qu’ils faisaient dans le vestibule : on pouvait même les apercevoir. En cet instant Libon, qui cherchait dans les plaisirs de la table une dernière jouissance,