Page:Taine - Carnets de voyage, 1897.djvu/262

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restes de la forêt primitive font entrevoir par instants l’antique région des Mabinogion et des poésies bretonnes ; les silencieuses eaux transparentes sur leur lit d’herbes vertes et sous les ombrages du peuple pullulant des chênes ont dû faire lever dans les cerveaux incultes d’étranges rêves, ceux de Merlin et de Viviane. Qui peut comprendre tout ce qu’une source dit à un poète dans la vie sauvage ?

Vers Redon commence la lande. Le clocher de granit flanqué de petits clochetons, tout gris et terne, perce et pointe dans l’air brumeux, blafard, lourdement encombré de nuages dont le ventre traîne sur la cime des arbres. Puis les arbres disparaissent, ou ne subsistent que rabougris, pauvres pins épars, chênes étêtés et languissants, broussailles. — Puis, pendant des heures entières, la lande de bruyères et d’ajoncs. Les ajoncs amassent en bourrelets leurs fouillis épineux, âpres à l’œil. Les bruyères étalent à l’infini leur tapis résistant, bariolé de violet et de rouge. Point de terre : le roc sec affleure à chaque