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L’ÉGLISE


moins laïque, il faut au prêtre les deux idées intenses et maîtresses qui soutiennent un militaire à l’étranger, parmi des insurgés ou des barbares : l’une est la conviction qu’il est d’une espèce et d’une essence à part, infiniment supérieur au vulgaire ; l’autre est la pensée qu’il appartient à son drapeau, à ses chefs, surtout à son général en chef, qu’il s’est donné tout entier, pour obéir à l’instant, à tout commandement, sans examen ni doute. Aussi bien, dans cette paroisse où le curé permanent était jadis, surtout à la campagne[1], le gouverneur légal et populaire de toutes les âmes, son successeur, le desservant amovible, n’est qu’un garnisaire en résidence, un factionnaire dans sa guérite, à l’entrée d’un chemin que le gros public ne fréquente plus. De temps en temps, il crie holà ! Mais on ne l’écoute guère ; sur dix hommes, neuf passent à distance, par la nouvelle route plus commode et plus large ; ils le saluent de loin ou l’ignorent ; quelques-uns même sont malveil-

  1. Le Clergé français en 1890 (par un ecclésiastique anonyme), 12 (Sur les petites paroisses) « La tâche du curé y est ingrate : s’il a du zèle, trop aisée s’il n’en a point. Il est, dans tous les cas, un homme isolé, sans ressources d’aucune sorte, tenté par tous les démons de la solitude et du désœuvrement. » — Ib., 92. « Dans les classes populaires, comme parmi les gens qui pensent, notre autorité est tenue en échec ; l’esprit humain est aujourd’hui pleinement émancipé et la société sécularisée. » Ib., 15. « L’indifférence ne semble s’être retirée des sommets de la nation que pour en pénétrer les couches inférieures… En France, on estime d’autant plus le prêtre qu’on le voit moins ; s’effacer, disparaître, c’est ce qu’on lui demande avant tout et le plus souvent. Le clergé et la nation vivent à côté l’un de l’autre, se touchant à peine par certains actes de la vie et ne se pénétrant pas du tout. »