Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 11, 1904.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
169
L’ÉGLISE


enclins à penser de même ; entre leurs mains, l’État est toujours tel qu’il l’a fait, c’est-à-dire accapareur, persuadé que ses droits sont illimités et que partout son ingérence est légitime, habitué à gouverner le plus qu’il peut et à ne laisser aux individus que la moindre part d’eux-mêmes, hostile aux corps qui pourraient s’interposer entre eux et lui, défiant et malveillant à l’endroit de tous les groupes capables d’action collective et d’initiative spontanée, surtout à l’endroit des corps propriétaires. Constitué par lui-même en surveillant quotidien, en tuteur légal, en directeur perpétuel et minutieux des sociétés morales comme des sociétés locales, usurpateur de leurs domaines, entrepreneur ou régulateur de l’éducation et de la bienfaisance, il est en conflit inévitable avec l’Église. Celle-ci, de toutes les sociétés morales, est la plus vivace : elle ne se laisse point asservir comme les autres, elle a son âme en propre, sa foi, son organisation, sa hiérarchie et son code ; contre les droits de l’État fondés sur la raison humaine, elle allègue ses droits fondés sur la révélation divine, et, pour se défendre contre lui, elle trouve justement dans le clergé français, tel que l’État l’a fait en 1802, la milice la plus disciplinée, la mieux enrégimentée, la plus capable d’opérer avec ensemble sous une consigne, et de suivre militairement l’impulsion que ses chefs ecclésiastiques veulent lui donner.

Ailleurs, le conflit est moins permanent et moins aigu ; les deux conditions qui l’exaspèrent et l’entretiennent en France manquent l’une ou l’autre, ou toutes les