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LE RÉGIME MODERNE


il opinait. Après un tel noviciat, il pouvait juger lui-même, au civil et au criminel, avec expérience, compétence, autorité ; dès vingt-cinq ans, il était formé et capable des plus hautes charges ; il n’avait plus qu’à vivre pour s’achever, pour devenir l’administrateur, le député, le ministre, le dignitaire que l’on a vu sous le premier Empire, sous la Restauration, sous la monarchie de Juillet, c’est-à-dire le politique le mieux renseigné, le mieux équilibré, le plus judicieux et, à la fin, le plus considéré[1] de son temps.

Tel est aussi le procédé qui, encore aujourd’hui, en Angleterre et en Amérique, forme, dans les diverses professions, les futurs talents. À l’hôpital, dans la mine, dans la manufacture, chez l’architecte, chez l’homme de loi, l’élève, admis très jeune, fait son apprentissage et son stage, à peu près comme chez nous un clerc dans son étude ou un rapin dans son atelier. Au préalable et avant d’entrer, il a pu suivre quelque cours général et sommaire, afin d’avoir un cadre tout prêt pour y loger les observations que tout à l’heure il va faire. Cependant, à sa portée, il y a le plus souvent quelques cours techniques qu’il pourra suivre à ses heures libres, afin de coordonner au fur et à mesure les expériences quotidiennes qu’il fait. Sous un pareil régime, la capacité pratique croît et se développe d’elle-même, juste au degré que comportent les facultés de l’élève, et dans la direction requise par sa besogne future, par l’œuvre spéciale à laquelle dès à présent il veut s’adapter. De cette

  1. Ce dernier mot est de Sainte-Beuve.