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LE RÉGIME MODERNE


dépense, goût pour l’argent, les titres et les préséances, ambition, désir d’avancer, d’avoir du crédit, de placer des protégés et des parents. Toutes ces prises, il en use, et les trouve efficaces. Sauf trois ou quatre saints comme M. d’Aviau[1] ou M. Dessolles, qu’il a mis dans l’épiscopat par mégarde, ses évêques sont contents d’être barons, et ses archevêques d’être comtes ; ils se félicitent de monter en grade dans la Légion d’honneur, ils allèguent tout haut, à l’éloge du nouvel établissement, les honneurs et dignités qu’il leur confère, tels et tels prélats devenus membres du Corps législatif ou sénateurs[2] ; plusieurs en secret reçoivent le prix de services secrets, des encouragements pécuniaires, telle somme en espèces sonnantes. Au total, Napoléon a calculé juste : avec des hésitations et des remords, presque tout son personnel épiscopal, italien et, français, soixante-six prélats sur quatre-vingts sont sensibles « aux influences temporelles » ; ils cèdent à ses séductions et à ses menaces ; ils vont accepter ou subir, même en matière spirituelle, son ascendant définitif[3]. D’ailleurs, parmi ces digni-

  1. Comte d’Haussonville, IV, 366. Ordre d’arrêter M. d’Aviau, archevêque de Bordeaux, comme l’un des opposants du concile (11 juillet 1811). À cet ordre, Savary lui-même, ministre de la justice, fait des objections : « Sire, il ne faut pas toucher à M. d’Aviau : c’est un saint ; nous aurions tout le monde contre nous. »
  2. Ib., IV, 58. Adresse de la commission ecclésiastique énumérant, parmi les faveurs conférées à la religion, « la décoration de la Légion d’honneur accordée à un grand nombre de prélats, les titres de baron et de comte affectés aux évêques et archevêques de l’Empire, l’admission de plusieurs d’entre eux dans le Corps législatif et le Sénat. »
  3. Ib., IV, 366 (Dernière séance du concile national, 5 août 1811).