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LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


pente du siècle ; on demandait alors aux écrivains non seulement des pensées, mais encore des pensées d’opposition. Désœuvrer une aristocratie, c’est la rendre frondeuse ; l’homme n’accepte volontairement la règle que lorsqu’il contribue à l’appliquer. Voulez-vous le rallier au gouvernement, faites qu’il y ait part. Sinon, devenu spectateur, il n’en verra que les fautes, il n’en sentira que les froissements, il ne sera disposé qu’à critiquer et à siffler. En effet, dans ce cas, il est comme au théâtre ; or au théâtre on veut s’amuser, et d’abord ne pas être gêné. Que de gênes dans l’ordre établi, et même dans tout ordre établi ! — En premier lieu, la religion. Pour les aimables « oisifs » que décrit Voltaire[1], pour « les cent mille personnes qui n’ont rien à faire qu’à jouer et à se divertir », elle est le pédagogue le plus déplaisant, toujours grondeur, hostile au plaisir sensible, hostile au raisonnement libre, brûlant les livres qu’on voudrait lire, imposant des dogmes qu’on n’entend plus. À proprement parler, c’est la bête noire ; quiconque lui lance un trait est le bien venu. — Autre chaîne, la morale des sexes. Elle semble bien lourde à des hommes de plaisir, aux compagnons de Richelieu, Lauzun et Tilly, aux héros de Crébillon fils, à tout ce monde galant et libertin pour qui l’irrégularité est devenue la règle. Nos gens de bel air adopteront sans difficulté une théorie qui justifie leur pratique. Ils seront bien aises d’apprendre que le mariage est une convention et un pré-

  1. Princesse de Babylone. — Cf. le Mondain.