Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
287
LE PEUPLE


Nul symptôme plus grave : quand le peuple préfère les ennemis de la loi aux défenseurs de la loi, la société se décompose et les vers s’y mettent. — Ajoutez à ceux-ci les vrais brigands, assassins et voleurs. « En 1782, la justice prévôtale de Montargis instruit le procès de Hulin et de plus de 200 de ses complices qui, depuis dix ans, par des entreprises combinées, désolaient une partie du royaume[1]. » — Mercier compte en France « une armée de plus de 10 000 brigands et vagabonds », contre lesquels la maréchaussée, composée de 3 756 hommes, est toujours en marche. « Tous les jours on se plaint, dit l’assemblée provinciale de la Haute-Guyenne, qu’il n’y ait aucune police dans la campagne. » Le seigneur absent n’y veille pas ; ses juges et officiers de justice se gardent bien d’instrumenter gratuitement contre un criminel insolvable, et ses terres deviennent l’asile de tous les scélérats du canton[2] ». — Ainsi chaque abus enfante un danger, la négligence mal placée comme la rigueur excessive, la féodalité relâchée comme la monarchie trop tendue. Toutes les institutions semblent d’accord pour multiplier ou tolérer les fauteurs de désordre, et pour préparer, hors de l’enceinte sociale, les hommes d’exécution qui viendront la forcer.

Mais leur effet d’ensemble est plus pernicieux encore ; car, de tant de travailleurs qu’elles ruinent, elles font des mendiants qui ne veulent plus travailler, des fai-

  1. Mercier, XI, 6.
  2. Voir ci-dessus, livre I, 85.