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L’ANCIEN RÉGIME


déserteurs, rôdant autour de Paris, conduiront les émeutes au lieu de les réprimer[1].

II

Une fois cette digue emportée, il n’y a plus de digue, et l’inondation roule sur toute la France comme sur une plaine unie. — En pareil cas, chez les autres peuples, des obstacles se sont rencontrés : il y avait des lieux élevés, des centres de refuge, quelques vieilles enceintes où, dans l’effarement universel, une partie de la population trouvait des abris. — Ici le premier choc achève d’en emporter les derniers restes, et, dans ces vingt-six millions d’hommes dispersés, chacun est seul. Depuis longtemps, et par un travail insensible, l’administration de Richelieu et de Louis XIV a détruit les groupes naturels qui, après un effondrement soudain, se reforment d’eux-mêmes. Sauf en Vendée, je ne vois aucun endroit ni aucune classe où beaucoup d’hommes, ayant confiance en quelques hommes, puissent, à l’heure du danger, se rallier autour d’eux pour faire un corps. Il n’y a plus de patriotisme provincial ou municipal. Le bas clergé est hostile aux prélats, les gentilshommes de province à la noblesse de cour, le vassal au seigneur, le paysan au citadin, la population urbaine à l’oligarchie municipale, la corporation à la corporation, la paroisse à la paroisse, le voisin au voisin. Tous sont séparés par leurs privilèges, par leurs jalousies, par la conscience

  1. Horace Walpole (5 septembre 1789).