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L’ANARCHIE SPONTANÉE


« grains. » En vain la municipalité ordonne aux quarante-sept paroisses environnantes de la fournir de blé ; celles-ci n’en ont cure ; chacun pour soi, chacun chez soi ; l’intendant n’est plus là pour faire fléchir l’intérêt local sous l’intérêt public. « Dans les pays de blé qui nous environnent, écrit une ville de Bourgogne, on ne peut se promettre d’achats libres. Des règlements particuliers, soutenus par les milices bourgeoises, empêchent la sortie et arrêtent la circulation. Les marchés circonvoisins sont nuls pour nous. Depuis huit mois ou environ, il n’a pas été apporté un sac de grain à la halle de notre ville. » — À Troyes, le pain coûte 4 sous la livre ; à Bar-sur-Aube et aux environs, 4 sous et demi. Or, aux ateliers de charité, l’artisan sans ouvrage gagne 12 sous par jour, et, en se promenant dans la campagne, il a vu que les blés étaient beaux. Qu’en peut-il conclure, sinon que la disette vient des accapareurs et que, s’il meurt de faim, c’est parce que des scélérats l’affament ? — En vertu de ce raisonnement, quiconque a la main sur les subsistances, propriétaire, fermier, négociant, administrateur, passe pour un traître. Évidemment il y a un complot contre le peuple : le gouvernement, la reine, le clergé, la noblesse, en sont, et aussi les magistrats, la haute bourgeoisie, les riches. Dans l’Île-de-France, le bruit court qu’on jette des sacs de farine dans la Seine et qu’on fait exprès manger le blé en herbe aux chevaux de la cavalerie. En Bretagne, il est constant qu’on exporte le grain et qu’on l’entasse à l’étranger. En Touraine, on est sûr que tel