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LA RÉVOLUTION


La Fayette, et, par une obstination d’humanité dans laquelle il persévérera jusqu’à la fin[1], il a défendu à ses propres gardes de tirer, en sorte qu’ils ne sont là que pour la montre. Ayant pour lui le droit commun, la loi et le serment que La Fayette vient de faire renouveler à ses troupes, que pourrait-il craindre ? Bien de plus efficace auprès du peuple que la confiance et la prudence, et, à force d’agir en mouton, on est sûr d’apprivoiser des bêtes féroces.

Dès cinq heures du matin, avant le jour, elles rôdent autour des grilles. La Fayette, épuisé de fatigue, s’est reposé une heure[2], et cette heure leur suffit[3]. Une population armée de piques et de bâtons, hommes et femmes, entoure un peloton de quatre-vingts gardes nationaux, les force à tirer sur les gardes du roi, enfonce une porte, saisit deux gardes, leur tranche la tête. Le coupe-tête, qui est un modèle d’atelier, homme à grande barbe, montre ses mains rouges en se glorifiant de ce qu’il vient de faire, et l’effet est si grand sur les gardes nationaux, que, par sensibilité, ils s’écartent pour ne pas être

  1. Procédure criminelle du Châtelet Dépositions 17, 89, 91 et 101. Aux bandits qui montaient l’escalier du roi, M. de Miomandre, garde du corps, dit doucement : « Mes amis, vous aimez votre roi, et vous venez l’inquiéter jusque dans son palais ».
  2. Malouet, II, 2. « J’étais sans défiance, disait La Fayette en 1798. Le peuple m’avait promis de rester tranquille. »
  3. Procédure criminelle du Châtelet. Dépositions 9, 16, 60. 128, 129, 150, 159, 158, 168, 170. — Dès deux heures du matin, M. du Repaire, garde du corps, étant en faction à la grille, un homme passe sa pique à travers les barreaux en disant : « J… f… de galonné, ton tour viendra avant qu’il soit longtemps ». M. du Repaire « se retire dans la guérite sans rien dire à cet homme, attendu les ordres qui leur étaient donnés de ne point agir ».