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LA RÉVOLUTION


s’embrasse ; les grenadiers coiffent de leurs bonnets les gardes du corps. Tout ira bien : « le peuple a reconquis son roi ». — Il n’y a plus qu’à se réjouir, et le cortège se met en marche : au centre, la famille royale et cent députés dans des voitures, puis l’artillerie avec des femmes à califourchon sur les canons, puis un convoi de farines ; alentour, les gardes du roi ayant chacun en croupe un garde national, puis la garde nationale de Paris, puis les hommes à piques, les femmes à pied, à cheval, en fiacre, sur des charrettes ; en tête, une bande qui porte au bout de deux perches des têtes coupées et s’arrête à Sèvres chez un perruquier pour les faire poudrer et friser[1] ; on les incline pour saluer, on les barbouille de crème ; il y a des rires et des quolibets ; on mange et on boit en route, on oblige les gardes du corps à trinquer ; on crie et on tire des salves de mousqueterie : hommes et femmes, se tenant par la main, chantent et dansent dans la boue. — Telle est la fraternité nouvelle : un convoi funèbre de toutes les autorités légales et légitimes, un triomphe de la brutalité sur l’intelligence, un Mardi-gras meurtrier et politique, une formidable descente de la Courtille, qui, précédée par ses insignes de mort, traîne avec elle les chefs de la France, roi, ministres et députés, pour les contraindre à gouverner selon

  1. Duval, Souvenirs de la Terreur, I, 78. (Douteux presque partout ailleurs, ici témoin oculaire : il dînait en face du perruquier, près de la grille du parc de Saint-Cloud.) — Seconde lettre de M. de Lally-Tollendal à un ami. « Au moment où le roi entrait dans sa capitale avec deux évêques de son conseil dans sa voiture, on entendit le cri : Tous les évêques à la lanterne ! »