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LA RÉVOLUTION


nation par des cadres différents, appropriés et durables, appliquer un moule de cent mille compartiments sur la vie de vingt-six millions d’hommes, le construire si harmonieusement, l’adapter si bien, si à propos, avec une si exacte appréciation de leurs besoins et de leurs facultés qu’ils y entrent d’eux-mêmes pour s’y mouvoir sans heurts et que tout de suite leur action improvisée ait l’aisance d’une routine ancienne, une pareille entreprise est prodigieuse et probablement au-dessus de l’esprit humain. À tout le moins, pour l’exécuter, celui-ci n’a pas trop de toutes ses forces et ne peut trop soigneusement se mettre à l’abri de toutes les causes de trouble et d’erreur. Il faut à une Assemblée, surtout à une Constituante, au dehors de la sécurité et de l’indépendance, au dedans du silence et de l’ordre, en tout cas du sang-froid, du bon sens, de l’esprit pratique, de la discipline, sous des conducteurs compétents et acceptés. Y a-t-il quelque chose de tout cela dans l’Assemblée constituante ?

I

Rien qu’à regarder ses dehors, on en peut douter. À Versailles, puis à Paris[1], ils siègent dans une salle immense, capable de tenir deux mille personnes, où, pour se faire entendre, la plus forte voix doit se forcer. Point de place ici pour le ton mesuré qui convient à la discussion des affaires ; il faut crier, et la tension de l’organe

  1. Arthur Young, 15 juin 1789. — Bailly, I. passim. — Moniteur, IV, 522 (2 juin 1790). — Mercure de France, 11 février 1792.