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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 3, 1909.djvu/210

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LA RÉVOLUTION


« les enragés », et qui, au bout de six mois, se trouve « le plus nombreux de tous ». — « Il se compose, dit Morris, de ces individus qu’en Amérique on appelle gens de chicane, outre une foule de curés, et de beaucoup de ces hommes qui, dans toutes les révolutions, affluent autour de la bannière de l’innovation, parce qu’ils se trouvent mal où ils sont. Ce dernier parti est en alliance étroite avec la populace, ce qui lui donne une grande autorité, et il a déjà disloqué tout. » De son côté sont toutes les passions fortes, non seulement l’irritation du peuple tourmenté par la misère et par le soupçon, non seulement l’amour-propre et l’ambition du bourgeois révolté contre l’ancien régime, mais encore les rancunes invétérées et les convictions méditées de tant de consciences souffrantes et de tant de raisons factieuses, protestants, jansénistes, économistes, philosophes qui, comme Fréteau, Rabaut-Saint-Étienne, Volney, Siéyès, couvent un long amas de ressentiments ou d’espérances, et n’attendent qu’une occasion pour imposer leur système avec toute l’intolérance du dogmatisme ou de la foi. Pour de tels esprits, le passé est non avenu ; l’exemple n’a point d’autorité ; les choses réelles ne comptent pas ; ils vivent dans leur utopie. Siéyès, le plus considéré de tous, juge que « toute la Constitution de l’Angleterre est un charlatanisme fait pour en imposer au peuple[1] ; il regarde les Anglais comme des enfants en matière de constitution, et se croit en état d’en donner une beaucoup meilleure à la France ».

  1. Dumont, 33, 58, 62.