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LA RÉVOLUTION


priés à une époque où la propriété et la souveraineté étaient confondues, où le gouvernement était local, où la vie était militante, ils font disparate en un temps où la souveraineté et la propriété sont séparées, où le gouvernement est central, où le régime est pacifique, et les sujétions nécessaires qui, au dixième siècle, ont rétabli la sécurité et l’agriculture, sont, au dix-huitième siècle, des sujétions gratuites qui appauvrissent le sol et enchaînent le paysan. Mais, de ce que ces antiques créances sont aujourd’hui abusives et nuisibles, il ne s’ensuit pas qu’elles n’aient jamais pu être utiles et légitimes, ni qu’il soit permis de les abolir sans indemnité. Au contraire, pendant plusieurs siècles et, en somme, tant que le seigneur a résidé, le contrat primitif est resté avantageux aux deux parties, et il l’était si bien, qu’il a conduit au contrat moderne ; c’est grâce à la pression de ce bandage étroit que la société brisée a pu se ressouder, recouvrer sa solidité, sa force et son jeu. — En tout cas, que l’institution, comme toutes les institutions humaines, ait débuté par la violence et dégénéré par des abus, peu importe : depuis huit cents ans, l’État reconnaît les créances féodales ; de son consentement et avec le concours de ses tribunaux, elles ont été transmises, léguées, vendues, hypothéquées, échangées comme les autres biens. Deux ou trois cents au plus sont restées dans les familles des premiers propriétaires. « La plus grande partie des terres titrées, dit un contemporain[1], sont

  1. Bouillé, 50 : « Toutes les vieilles familles nobles, sauf deux ou trois cents, étaient ruinées. »