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L’ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ET SON ŒUVRE


que les droits dérivés de la souveraineté injuste ont été abolis sans indemnité, les droits dérivés de la propriété injuste doivent être supprimés sans dédommagement. — Par une imprudence énorme, en tête de sa loi, l’Assemblée a déclaré « qu’elle abolissait entièrement le régime féodal », et, quelles que soient ses réserves ultérieures, la phrase décisive est prononcée. Les quarante mille municipalités souveraines, qui se font lire le texte, ne prêtent d’attention qu’au premier article, et le procureur de village, imbu des Droits de l’homme, prouve aisément à ces assemblées de débiteurs qu’elles ne doivent rien à leur créancier. Point d’exceptions, ni de distinctions : plus de redevances annuelles, champart, agrier, percières, ni de redevances éventuelles, lods et ventes, quint et requint. Si l’Assemblée les a maintenues, c’est par méprise, timidité, inconséquence, et de toutes parts, dans les campagnes, on entend le grondement de l’avidité déçue ou du besoin mal satisfait[1]. « Vous avez cru anéantir la féodalité, et vos lois de rachat ont fait tout le contraire… Ignorez-vous que ce que l’on appelait un seigneur n’était qu’un usurpateur impuni ?… Cet abominable décret de 1790 est la ruine de tous les propriétaires censitaires. Il a jeté la consternation dans tous les villages. Il n’est qu’à l’avantage des seigneurs… On ne pourra jamais se racheter. Et se racheter de ce qu’on ne doit pas ! se racheter de droits odieux ! » — En vain l’Assemblée

  1. Doniol (Nouveaux cahiers de 1790), Plaintes des censitaires du Rouergue et du Quercy, 97-105.