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L’ANARCHIE SPONTANÉE


du Maine[1]. À Saint-Léonard, le peuple retient les grains qui partaient pour Limoges, à Bost ceux qui partaient pour Aurillac, à Saint-Didier ceux qui partaient pour Moulins, à Tournus ceux qui partaient pour Mâcon. — En vain on adjoint des escortes aux convois ; des troupes d’hommes et de femmes, armées de haches et de fusils, se mettent en embuscade dans les bois de la route et sautent à la bride des chevaux : il faut les sabrer pour avancer. En vain on leur prodigue les raisons, les bonnes paroles, et même « on leur offre du blé pour de l’argent ; ils refusent en criant que le convoi ne partira pas ». Ils se sont buttés ; leur résolution est celle d’un taureau qui se met en travers du chemin en présentant les cornes. Le blé est à eux, puisqu’il est dans le pays ; quiconque l’emmène ou le détient est un voleur : on ne peut leur arracher cette idée fixe. À Chantenay, près du Mans[2], ils empêchent un meunier d’emporter à son moulin celui qu’il vient d’acheter ; à Montdragon, en Languedoc, ils lapident un négociant qui expédiait ailleurs sa dernière voiture ; à Thiers, les ouvriers vont en force ramasser du blé dans les campagnes : un propriétaire chez qui on en trouve manque d’être tué ; ils boivent dans les caves, puis laissent couler le vin. À Nevers, les boulangers n’ayant point garni leurs étaux pendant quatre

  1. Archives nationales, H, 1453. Lettre du comte de Langeron, 4 juillet ; de M. de Meulan d’Ablois, 5 juin ; procès-verbal de la maréchaussée de Bost, 29 avril. Lettres de M. de Chazerat, 29 mai ; de M. de Besenval, 2 juin ; de l’intendant, M. Amelot, 25 avril.
  2. Archives nationales, H, 1453. Lettre de M. de Besenval, 27 mai ; de M. de Ballainvilliers, 25 avril ; de M. de Chazerat, 12 juin ; de M. Foullon de Doué, 19 avril.