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LA RÉVOLUTION


jours, la populace force les greniers des particuliers, des négociants, des communautés religieuses. « Les marchands intimidés donnent leurs grains au prix qu’on veut ; on en vole même la plus grande partie en présence des gardes », et dans le tumulte de ces visites domiciliaires, nombre de maisons sont saccagées. — En ce temps-là, malheur à tous ceux qui ont part à la garde, à l’acquisition, au commerce, à la manutention des grains ! L’imagination populaire a besoin de personnes vivantes auxquelles elle puisse imputer ses maux et sur lesquelles elle puisse décharger ses ressentiments ; pour elle, tous ces gens-là sont des accapareurs, et, en tout cas, des ennemis publics. Près d’Angers, la maison des Bénédictins est envahie, et leurs enclos, leurs bois sont dévastés[1]. À Amiens, « le peuple se disposait à piller et peut-être à brûler les maisons de deux commerçants qui ont fait construire des moulins à mouture économique » ; contenu par les soldats, il se borne à casser les vitres ; mais d’autres « pelotons viennent tout briser ou piller chez trois ou quatre particuliers qu’ils soupçonnaient d’accaparements ». À Nantes, un sieur Geslin étant député par le peuple pour visiter une maison, où il ne trouve pas de blé, un cri s’élève : C’est un recéleur, un complice ! La foule se jette sur lui, il est blessé, presque écharpé. — Il est manifeste qu’il n’y a plus de sécurité en France ; les biens, les vies même sont en danger.

  1. Archives nationales, H, 1453. Lettre de l’intendant, M. d’Aîne, 2 mars ; de M. d’Agay, 30 avril ; de M. Amelot, 25 avril ; des officiers municipaux de Nantes, 9 janvier, etc.