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L’ANARCHIE SPONTANÉE


insensiblement de couche en couche, et qu’après avoir gagné l’aristocratie, toute la partie lettrée du Tiers-État, les gens de loi, les écoles, toute la jeunesse, elles se sont insinuées, goutte à goutte et par mille fissures, dans la classe qui vit du travail de ses bras. Les grands seigneurs, à leur toilette, ont raillé le christianisme et affirmé les droits de l’homme devant leurs valets, leurs perruquiers, leurs fournisseurs et toute leur antichambre. Les gens de lettres, les avocats, les procureurs ont répété, d’un ton plus âpre, les mêmes diatribes et les mêmes théories aux cafés, aux restaurants, dans les promenades et dans tous les lieux publics. On a parlé devant les gens du peuple comme s’ils n’étaient point là, et, de toute cette éloquence déversée sans précaution, il a jailli des éclaboussures jusque dans le cerveau de l’artisan, du cabaretier, du commissionnaire, de la revendeuse et du soldat.

C’est pourquoi il suffit d’une année pour changer leur mécontentement sourd en passion politique. À partir du 5 juillet 1787, sur l’invitation du roi qui convoque les États Généraux et demande à chacun son avis, la parole et la presse changent d’accent[1] : au lieu d’une conversation générale et spéculative, c’est une prédication en vue d’un effet pratique, subit, profond et prochain, vibrante et perçante comme un clairon d’appel. Coup sur coup éclatent les pamphlets révolutionnaires, Qu’est-ce que le Tiers, par Siéyès, Mémoire pour le peuple

  1. Barère, Mémoires, I, 234.