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L’ANARCHIE SPONTANÉE


« s’accrochent à eux ; on leur paye des glaces, du vin ; on les débauche à la barbe de leurs officiers. » — Comptez de plus que, depuis longtemps, leur colonel, M. du Châtelet, leur est odieux, qu’il les a fatigués de manœuvres forcées, qu’il a tracassé et amoindri leurs sergents, qu’il a supprimé l’école où l’on élevait les enfants de leurs musiciens, qu’il emploie le bâton pour châtier les hommes, qu’il chicane sur la tenue, la nourriture et l’entretien. — C’est un régiment perdu pour la discipline : une société secrète s’y est formée, et les soldats se sont engagés devant leurs anciens à ne rien faire contre l’Assemblée nationale. Ainsi, entre eux et le Palais-Royal, la confédération est faite. — Le 30 juin, onze de leurs meneurs conduits à l’Abbaye écrivent pour demander du secours : un jeune homme monte sur une chaise devant le café Foy, et lit tout haut leur lettre ; à l’instant une bande se met en marche, force le guichet à coups de maillet et de barres de fer, ramène les prisonniers en triomphe, leur donne une fête dans le jardin et monte la garde autour d’eux pour qu’on ne vienne pas les reprendre. — Lorsqu’un tel désordre reste impuni, nul ordre ne peut être maintenu ; en effet, le 14 juillet au matin, sur six bataillons, cinq avaient fait défection. — Quant aux autres corps, ils ne tiennent pas mieux et sont séduits de même. « Hier, écrit Desmoulins, le régiment d’artillerie a suivi l’exemple des gardes françaises, il a forcé les sentinelles, et est venu se mêler aux patriotes dans le Palais-Royal… On ne voit que des gens du peuple qui s’attellent à tous les