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LA RÉVOLUTION


mot de la théorie : dans la maison politique, au-dessus des pouvoirs délégués, réguliers et légaux, elle installe un pouvoir anonyme, imbécile et, terrible, dont l’arbitraire est absolu, dont l’initiative est continue, dont l’intervention est meurtrière : c’est le peuple, sultan soupçonneux et féroce, qui, après avoir nommé ses vizirs, garde toujours ses mains libres pour les conduire, et son sabre tout affilé pour leur couper le cou.

II

Qu’un spéculatif, dans son cabinet, ait fabriqué cette théorie, cela se comprend : le papier souffre tout, et des hommes abstraits, des simulacres vides, des marionnettes philosophiques comme celles qu’il invente, se prêtent à toute combinaison. — Qu’un maniaque, dans sa cave, adopte et prêche cette théorie, cela s’explique aussi : il est obsédé de fantômes, il vit hors du monde réel, et d’ailleurs, dans cette démocratie incessamment soulevée, c’est lui, l’éternel dénonciateur, le provocateur de toute émeute, l’instigateur de tout meurtre, qui, sous le nom d’« ami du peuple », devient l’arbitre de toute vie et le véritable souverain. — Qu’un peuple, surchargé d’impôts, misérable, affamé, endoctriné par des déclamateurs et par des sophistes, ait acclamé et pratiqué cette théorie, cela se comprend encore : dans l’extrême souffrance, on fait arme de tout, et, pour l’opprimé, une doctrine est vraie quand elle aide à se délivrer de l’oppression. — Mais que des politiques, des législateurs, des