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LA RÉVOLUTION


« des agioteurs à des financiers, des empiriques à des administrateurs, des journalistes à des publicistes, des rhéteurs à des législateurs, et des pauvres à des riches. » — À ce spectacle, toutes les convoitises se sont redressées. La profusion des places offertes et des vacances attendues « a irrité la soif du commandement, tendu l’amour-propre, et enflammé l’espérance chez les hommes les plus ineptes. Une farouche et grossière présomption a délivré le sot et l’ignorant du sentiment de leur nullité. Ils se sont crus capables de tout, parce que la loi accordait les fonctions publiques à la seule capacité. Chacun a pu entrevoir une perspective d’ambition : le soldat n’a plus songé qu’à déplacer l’officier, l’officier qu’à devenir général, le commis qu’à supplanter l’administrateur en chef, l’avocat d’hier qu’à se vêtir de la pourpre, le curé qu’à devenir évêque, le lettré le plus frivole qu’à s’asseoir sur le banc des législateurs. Les places, les états, vacants par la nomination de tant de parvenus, ont offert à leur tour une vaste carrière aux classes inférieures. » — Ainsi, de proche en proche, par le déplacement des conditions, s’est opéré l’ébranlement des âmes. « Ainsi l’on a transformé la France en une table de joueurs, où, avec l’offrande du citoyen actif, avec du parlage, de l’audace et une tête effervescente, l’ambitieux le plus subalterne a jeté ses dés… Voyant sortir du néant un fonctionnaire public, quel est le décrotteur dont l’âme n’ait pas été remuée d’émulation ? » — Il n’a qu’à se pousser et à jouer des coudes