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LA RÉVOLUTION


l’habitude de se laisser conduire[1]. Involontairement les provinciaux tournent les yeux vers la capitale, et, aux jours de crise, ils vont d’avance sur la grande route pour apprendre du courrier quel gouvernement leur est échu. Ce gouvernement du centre, en quelques mains qu’il soit tombé, la majorité l’accepte ou le subit. Car, en premier lieu, la plupart des groupes isolés qui voudraient le voir à bas n’osent engager la lutte : il leur semble trop fort ; par une routine invétérée, ils imaginent derrière lui la grande France, lointaine qui, poussée par lui, va les écraser de sa masse[2]. En second lieu, si quelques groupes isolés entreprennent de le mettre à bas, ils sont hors d’état de soutenir la lutte ; il est trop fort pour eux. Effectivement, ils ne sont pas encore organisés, et il l’est tout de suite, grâce au personnel docile que lui a légué le gouvernement déchu. Monarchie ou république, le commis vient chaque matin à son bureau pour expédier les ordres qui lui sont transmis[3]. Monar-

  1. Cf. L’Ancien régime, II, 304.
  2. Mémoires de Mme de Sapinaud, 18. Réponse de M. de Sapinaud aux paysans vendéens qui venaient le prendre pour général : « Mes amis, c’est le pot de terre contre le pot de fer. Que ferons-nous ? un seul département contre quatre-vingt-deux ! Nous allons être écrasés. »
  3. Malouet, II, 241 : « J’ai connu un commis de bureau qui, pendant ces jours de deuil (septembre 1792), n’a pas manqué d’aller, comme d’ordinaire, copier et calculer ses états ; la correspondance des ministres avec les armées, avec les provinces, suivait son cours et ses formes habituelles ; la police de Paris veillait sur les approvisionnements, sur les escrocs, pendant que le sang ruisselait dans Les rues. » — Sur ce besoin machinal et cette habitude invétérée : de prendre les ordres de l’autorité centrale, cf. Mallet du Pan, Mémoires, 490 : « L’armée de Dumou-