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LA SECONDE ÉTAPE DE LA CONQUÊTE


frais de l’opération[1]. — Mais, parmi les autres dépêches, il en est qu’il ne peut se dispenser de parcourir s’il veut savoir à quoi se réduit son autorité, en quel mépris est tombé toute autorité, comment la plèbe civile ou militaire exerce son empire, avec quelle promptitude elle tranche les vies les plus illustres et les plus utiles, notamment celles des hommes qui ont commandé ou qui commandent, et le ministre se dit peut-être que son tour viendra.

Philanthrope dès sa jeunesse, libéral dès son entrée à la Constituante, président élu du département de Paris, l’un des patriotes les plus persévérants, les plus généreux et les plus respectés de la première et de la dernière heure, qui méritait mieux d’être épargné que M. de la Rochefoucauld ? Arrêté à Gisors par ordre de la Commune de Paris, il sortait de l’auberge, à pied, conduit par le commissaire parisien, entouré du conseil municipal, escorté par douze gendarmes et par cent gardes nationaux ; derrière lui, sa mère, âgée de quatre-vingts ans, sa femme, suivaient en voiture ; on ne pouvait craindre qu’il ne s’échappât. Mais contre un suspect la mort est une précaution plus sûre que la prison, et 300 volontaires de l’Orne et de la Sarthe, qui sont de passage à Gisors, s’attroupent en criant : « Nous allons avoir sa tête rien ne peut nous en empêcher. » Un coup de pierre atteint M. de la Rochefoucauld à la tempe, il s’affaisse ; son escorte est enfoncée, on l’achève à coups de sabre et de bâton, et le conseil municipal

  1. Mortimer-Ternaux, III, 378, 594 et suivantes.