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LA RÉVOLUTION


il est tout cru ; il n’y a que l’instinct carnassier qui se gorge. Entre autres détenus, 43 enfants du bas peuple, âgés de douze à dix-sept ans, étaient là, placés en correction par leurs parents ou par leurs patrons[1] ; il n’y avait qu’à les regarder pour reconnaître en eux les vrais voyous parisiens, les apprentis de la misère et du vice, les futures recrues de la bande régnante, et la bande tombe sur eux à coups de massue. Rien de plus difficile à tuer ; à cet âge, la vie est tenace, il faut redoubler pour en venir à bout. « Là-bas, dans ce coin, disait un geôlier, on avait fait de leurs corps une montagne. Le lendemain, quand il a fallu les enterrer, c’était un spectacle à fendre l’âme. Il y en avait un qui avait l’air de dormir, comme un ange du bon Dieu ; mais les autres étaient horriblement mutilés[2]. » — Cette fois, on est descendu au-dessous de l’homme, dans les basses couches du règne animal au-dessous du loup : les loups n’étranglent pas les louveteaux.

VI

Six jours et cinq nuits de tuerie non interrompues[3], 171 meurtres à l’Abbaye, 169 à la Force, 223 au Châtelet,

    à la Salpêtrière, les femmes marquées et les jeunes filles élevées dans la maison. De là les deux sortes de traitement.

  1. Mortimer-Ternaux. III, 295. Liste des noms, âges et métiers.
  2. Barthélemy Maurice, Histoire politique et anecdotique des prisons de la Seine, 329.
  3. Granier de Cassagnac, II, 431. Procès-verbal du commissaire de police Auzolle. D’après la déclaration du concierge de la Force, le massacre s’y est prolongé jusque dans la journée du 7 septembre. Mortimer-Ternaux, III, 548.