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LA RÉVOLUTION


« faut détruire d’anciens préjugés, changer d’antiques habitudes, perfectionner des affections dépravées, restreindre des besoins superflus, extirper des vices invétérés. » — Mais l’entreprise est sublime, car il s’agit de « remplir les vœux de la nature[1], d’accomplir les destins de l’humanité, de tenir les promesses de la philosophie ». — « Nous voulons, dit Robespierre[2], substituer la morale à l’égoïsme, la probité à l’honneur, les principes aux usages, les devoirs aux bienséances, l’empire de la raison à la tyrannie de la mode, le mépris du vice au mépris du malheur, la fierté à l’insolence, la grandeur d’âme à la vanité, l’amour de la gloire à l’amour de l’argent, les bonnes gens à la bonne compagnie, le mérite à l’intrigue, le génie au bel esprit, le charme du bonheur aux ennuis de la volupté, la grandeur de l’homme à la petitesse des grands, un peuple magnanime, puissant, heureux, à un peuple aimable, frivole et misérable, c’est-à-dire toutes les

  1. Buchez et Roux, XXXI, 270 (Rapport de Robespierre sur les principes qui doivent guider la Convention nationale dans l’administration intérieure de la République, 5 février 1794). — Cf. (l’Ancien Régime, vol. II, liv. III, 29 à 44) les idées de Rousseau ; celles de Robespierre n’en sont que le décalque.
  2. Ib., 270. — La prétention de réformer les sentiments des hommes se retrouve dans tous les programmes. — Ib., 305 (Rapport de Saint-Just, 26 février 1794). « Notre but est de créer un ordre de choses tel qu’une pente universelle vers le bien s’établisse, et que les factions se trouvent lancées tout d’un coup sur l’échafaud. » — Ib., 337 (Rapport de Saint-Just, 13 mars 1794). Nous ne connaissons qu’un moyen d’arrêter le mal, c’est de mettre enfin la Révolution dans l’état civil, et de faire la guerre à toute espèce de perversité, comme suscitée parmi nous à dessein d’énerver la République. »