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LA RÉVOLUTION


la grosse masse, pacifique de mœurs et civilisée de cœur, la Révolution a trié et mis à part les hommes assez fanatiques, ou assez brutaux, ou assez pervers pour avoir perdu tout respect d’autrui ; voilà la nouvelle garnison, sectaires aveuglés par leur dogme, assommeurs endurcis par leur métier, ambitieux qui se cramponnent à leurs places. À l’endroit de la vie et de la propriété humaines, ces gens-là n’ont point de scrupules ; car, ainsi qu’on l’a vu, ils ont arrangé la théorie à leur usage et ramené la souveraineté du peuple à n’être plus que leur propre souveraineté. Selon le Jacobin, la chose publique est à lui, et, à ses yeux, la chose publique comprend toutes les choses privées, corps et biens, âmes et consciences ; ainsi tout lui appartient : par cela seul qu’il est Jacobin, il se trouve légitimement tsar et pape. Peu lui importe la volonté réelle des Français vivants ; son mandat ne lui vient pas d’un vote : il descend de plus haut, il lui est conféré par la Vérité, par la Raison, par la Vertu. Seul éclairé et seul patriote, il est seul digne de commander, et son orgueil impérieux juge que toute résistance est un crime. Si la majorité proteste, c’est parce qu’elle est imbécile ou corrompue ; à ces deux titres, elle mérite d’être mâtée, et on la mâtera. — Aussi bien, depuis le commencement, le Jacobin n’a pas fait autre chose : insurrections et usurpations, pillages et meurtres, attentats contre les particuliers, contre les magistrats, contre les Assemblées, contre la loi, contre l’État, il n’est point de violences qu’il n’ait commises ; d’instinct, il s’est toujours conduit en souverain ;