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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 7, 1904.pdf/165

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LE PROGRAMME JACOBIN


pour monter la garde autour d’un droit ; car il monte cette garde, non seulement afin de préserver le droit, mais encore et surtout pour se satisfaire ; l’homme s’est figuré le caractère qui convient à son rang et se l’impose comme une consigne. Dès lors, non seulement il se fait respecter par autrui, mais il se respecte lui-même, il a le sentiment de l’honneur : c’est un amour-propre généreux par lequel il se considère comme une créature noble et s’interdit les actions basses. Dans le discernement de ces actions, il lui arrivera de se tromper ; parfois, la mode ou la vanité l’entraîneront trop loin ou le conduiront de travers, vers les puérilités ou vers les folies ; il placera mal son point d’honneur. Mais, en somme, c’est grâce à ce point fixe qu’il se maintiendra debout, même sous la monarchie absolue, sous Philippe II en Espagne, sous Louis XIV en France, sous Frédéric II en Prusse. Du baron féodal au gentilhomme de cour et au gentleman moderne, la tradition persistera et descendra d’étage en étage jusqu’au fond de la société : aujourd’hui, tout homme de cœur, le bourgeois, le paysan, l’ouvrier, a son honneur, comme le noble. Lui aussi, à travers les envahissements de la société qui l’enveloppe, il se réserve son enclos privé, sorte d’enceinte morale où il a déposé ses croyances, ses opinions, ses affections, ses obligations de fils, de mari, de père, et tout le trésor intime de sa personne. Cette forteresse-là est à lui seul ; nul, même au nom du public, n’a le droit d’y entrer ; la livrer, serait une lâcheté : plutôt que d’en remettre les clefs, il faut se